Année A - III Advent (Mt 11, 2-11) Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par André De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda: ‘Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?’ ”
Dimanche dernier Jean nous est apparu en tant que prédicateur et baptiseur de nombreuses foules. Nous le voyons aujourd’hui tout seul, en prison, à la merci d’Hérode, dans la forteresse de Machaeron. Plus personne ne semble se souvenir de lui, à part quelques visites d’un petit groupe d’adeptes, qui lui parlent d’un Christ très différent de celui qu’ils imaginaient. Jean avait prêché un Messie justicier, qui punirait sévèrement les pécheurs, comme lorsque l’on rejette le déchet avec la pelle à vanner, ou que l’on coupe un arbre qui ne donne pas de fruit. Un Messie-leader qui, avec un acte de force, aurait vaincu l’ennemi et libéré le peuple.
Mais Jésus - rapportent les disciples du Baptiste - est en train de faire tout le contraire: il ne juge pas, il ne condamne pas, il semble être un bon type qui s’adresse à tous, qui fréquente tout le monde, les pauvres en particulier. De plus il mange avec les pharisiens, il accompagne les pécheurs, il prend contact avec des gens impurs et de mauvaise réputation. Un Messie “assoupli”, sans moyens, un véritable échec du point de vue de la propagande que Jean avait faite: “quel genre de Messie nous as-tu prêché? ce Jésus que tu avais dit être l’Agneau de Dieu …”
Il y avait déjà eu des frictions au sujet du jeûne, entre les disciples de Jean et ceux de Jésus. Maintenant l’occasion est bonne de rouvrir la controverse: “vois bien que le Messie que tu nous as demandé de suivre fait ceci et fait cela …” Nous comprenons bien que Jean, lui aussi saisi par la perplexité, envoie des messagers à Jésus pour lui demander: “Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?”
En recevant les ambassadeurs, Jésus répond en citant Isaïe: “Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez: Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle”. Cependant, en citant Isaïe, Jésus le censure, car il omet des versets qui parlent de vengeance et d’extermination des ennemis. Confirmant la venue du Messie dans sa personne, Jésus omet les traits de la violence. Il dit ne pas utiliser la force, mais s’approcher des malades, des pauvres, des nécessiteux: “Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute”. En fait, un Messie miséricordieux est un scandale, car la miséricorde n’est pas prévue par ceux qui s’attendent à une manifestation implacable de la justice divine. Même Jean a été pris par la surprise! Les ambassadeurs comprennent la réponse de Jésus, ils la désapprouvent, ils se retournent et partent: ce Jésus n’est pas du tout le Messie qu’ils attendaient.
À ce moment-là, Jésus commence à louer le Baptiste, sans se sentir offensé par le fait que Jean ait douté de lui, et demande aux gens: “Qu’êtes-vous allés regarder au désert? un roseau agité par le vent?” Le roseau est l’image de l’opportuniste, c’est-à-dire d’une personne prête à se soumettre à toutes les situations afin de rester à flot et de s’assurer une part de pouvoir. Non, Jean n’est pas un opportuniste, il ne s’est pas plié au compromis, il a eu le courage de dénoncer le roi qui couchait avec sa belle-sœur.
Même de nos jours, les attentes messianiques restent d’actualité et ont la même couleur que celles des disciples du Baptiste: ce sont des attentes politiques! On s’en prend aux politiciens, sans penser que nous attendons d’eux un certain comportement! Il y a toujours des gens qui attendent un chef, un président, un dictateur, un meneur ou un libérateur qui puisse remettre les choses en ordre, même par la force. Les films américains et les jeux vidéo qui ont conquis la planète des jeunes sont tous remplis de ces héros messianiques qui, pour rétablir la justice, déchaînent la violence vindicative de Lamech. C’est comme si pour eux, même l’Ancien Testament n’était pas encore arrivé.
Quelque chose de semblable se passe dans nos communautés ecclésiales ou civiles. Puisque les choses ne vont jamais dans le bon sens, il existe toujours un secret espoir qu’en changeant de maire ou de prêtre, en changeant de président ou d’évêque, les choses vont forcément s’améliorer.
En réalité, en tant que vrais disciples du Christ, nous devons cesser d’espérer qu’un autre viendra régler nos problèmes. C’est à nous de semer la graine de la Parole! Nous sommes une petite communauté d’hommes et de femmes qui sillonnons la mer de l’histoire en introduisant des graines d’espoir. Voici les signes qui anticipent la joie du Royaume à venir: les barrières s’effondrent, la discrimination est surmontée et les pauvres sont soulagés. Nous aussi, comme le Messie affaibli, nous ne disposons pas de moyens extraordinaires pour établir la justice et la paix: le Royaume de Dieu naît dans les cœurs et se propage de bouche à oreille!
La question potentiellement impertinente de Jean nous concerne donc de très près. En effet, Jean, le cousin humain du Christ, n’étant rien moins que son “précurseur”, a lui-même douté de celui qu’il connaissait bien et au sujet duquel il avait prêché. Dès lors, comment pouvons-nous nous étonner du fait que nous-mêmes, avec toutes les dévotions et les prières que nous adressons au Seigneur, nous vivions une foi souvent accompagnée des ténèbres et du doute? C’est un signe que le doute fait partie du chemin de foi, et nous devons nous méfier de ceux qui disent … n’avoir aucun doute !!! Les certitudes absolues mènent au fondamentalisme, à l’intolérance et à la non-acceptation de l’autre!
Parfois, le chemin est tellement difficile que je me demande: “Seigneur, es-tu celui qui va me sauver, ou dois-je m’adresser à un autre?” Il est important que je lui pose la question: certainement, me répondra-t-il, comme à son cousin dans sa prison. Pourtant, en dépit de mes doutes, il est sûr que Jésus m’adressera des mots d’appréciations. Le sentiment de ma bonne conscience l’atteste. Merci, Seigneur, pour la modestie de ma foi!
Amen
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