Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes
Année C - XXVIII Ordinaire (Lc 17, 11-19)
par André De Vico, prêtre
correction française: merci à mes amis
“Alors Jésus prit la parole en disant: ‘Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés? Les neuf autres, où sont-ils? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu!’ Jésus lui dit: ‘Relève-toi et va: ta foi t’a sauvé’ ”
La liturgie d’aujourd’hui présente deux épisodes de guérison ou “purification”, comme on disait à l’époque. Naaman, un dignitaire de la Syrie païenne, est guéri par un prophète du Dieu d’Israël, et un samaritain, un étranger lui aussi, venant d’un peuple méprisé par les juifs, est guéri par Jésus. Leur maladie, la lèpre. Pour des raisons d’hygiène, les lépreux étaient considérés comme des “impurs” à éviter, ils étaient donc contraints à vivre en marge de la société des “sains”. En cas de guérison, dans un état théocratique comme celui d’Israël, le prêtre agissait en qualité d’agent officiel d’hygiène et de santé publique: il avait la charge de constater si la guérison a eu lieu, et déclarer la personne “pure”, “monde”, en l’intégrant à nouveau dans le consortium humain. C’est pour cela que Jésus, en guérissant les dix lépreux, les envoie chez les prêtres pour la validation.
Toutefois, des dix, il n’y a qu’un qui, se voyant guéri, revient en arrière pour remercier: c’est le samaritain. Les autres neuf sont juifs, mais ils continuent leur chemin, impatients d’avoir le certificat, sans montrer de signe de reconnaissance envers celui qui les a guéris. Le point fort de cette narration est évident: un samaritain infidèle et de race “bâtarde’’ s’est porté mieux que les pieux et nobles juifs! Un “mal croyant” est indiqué par Jésus comme modèle de foi: qui l’aurait imaginé? Cela est un évènement qui se produit souvent dans l’Evangile. Dans un autre épisode, Jésus s’était émerveillé par la foi d’un païen, là où en Israël on l’aurait cherché en vain; une autre fois, Jésus présente un “extra-communautaire” comme un exemple de charité, non le prêtre du Temple ou le lévite de la Fonction Publique.
De ces dix lépreux, tous ont prié, tous ont eu confiance, tous ont été guéris, tous ont obéi en allant chez les prêtres, mais il n’y a qu’un qui est revenu remercier: “Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu!” Il m’a semblé entendre la même histoire dans le récit de quelques guides de montagne, qui à leurs risques et périls, interviennent dans des situations d’urgence provoquées par des alpinistes inexpérimentés et improvisés. Eh bien, au moment où ces guides sauvent des vie humaines, que font-ils ceux-là? Ils se tournent pour dire “merci?”. Pas si sûr: parfois les survis éprouvent un ressentiment incompréhensible envers leurs sauveteurs, pour avoir eu besoin d’eux! Un de mes amis a secouru un motard blessé et il s’est engagé pour son transport à l’hôpital: le jour d’après celui-là n’a même pas voulu le recevoir! Belle gratitude! On aurait envie de dire: ne valait-il pas mieux de les laisser là où ils étaient, dans leur maladie, entre les rochers ou sur la route?
Humainement ce serait une satisfaction, mais Jésus ne le pense pas: pour en “sauver” un, il en “guérit” dix. “Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés? Les neuf autres, où sont-ils?… Jésus lui dit: ‘Relève-toi et va: ta foi t’a sauvé’ ” Neufs sont dits: “guéris”, il n’y a que le dixième qui est dit “sauvé”. On voit bien que la foi ne s’enferme pas dans un cercle défini d’élus ou de baptisés, mais que tous peuvent s’adresser à Lui, même l’étranger, le mécréant ou le disciple d’une religion hérétique comme celle de Samarie. S’il venait aujourd’hui, devant le spectacle de tant de baptisés aux convictions orthodoxes mais qui n’ont pas le cœur de dire: “merci”, Jésus apporterait l’exemple d’un certain Arabe, Gypse ou Marocain, pour montrer que le Royaume des cieux préfère “un étranger qui aide le prochain” aux pratiquant d’une religion figée et embaumée dans l’exactitude des formulations doctrinales. En fin de compte, l’éloge du samaritain devient une gifle morale pour tous ceux qui limitent le discours de la foi dans le contexte d’une culture, d’une doctrine ou d’une tradition bien précise: la nôtre.
Cet éloge se prête aussi bien pour débusquer une certaine mentalité laïque qui a horreur de “la foi” telle qu’une expression identitaire, violente, terroriste. Il y a des mécréants qui ne savent parler de foi et de religion que quand ils voient une bombe exploser ou lors d’un scandale, pour avoir quoi dire et se libérer d’une démangeaison de satisfaction idéologique. Quelle que soit la façon dont on la regarde, la remarque de Jésus est scandaleuse: “Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu!” Si la foi est “foi en sa personne”, si la foi est une “relation avec lui”, même l’étranger y a accès!
Pour revenir sur Naaman, ce n’est pas l’eau du fleuve qui l’a sauvé. L’eau était nécessaire comme signe, en effet le prophète lui avait ordonné de plonger sept fois dans le Jourdain, mais cela n’a pas été l’eau qui le sauve. Ensuite, il y a les cadeaux somptueux que Naaman avait apportés avec lui dans l’espoir de payer sa guérison, mais même ceux-ci n’ont pas servi au but, en fait ils ont été rejetés par Elisée. La visite au sanctuaire/habitation n’a été pas non plus la cause de sa réhabilitation. C’est la foi qui l’a guéri! Mais quel genre de foi un païen pourrait-il exprimer?
En relisant l’épisode (2Rois, 5, 1-27), nous constatons que toute l’affaire de Naaman présente plusieurs coups de théâtre, des motifs de suspicion, de colère et de dédain, pour avoir été envoyé dans les eaux misérables d’Israël, avec toute l’eau qui coule dans les rivières de Damas. On voit bien que la “foi” de Naaman était de type magique, et il ne s’attendait qu’à une action d’éclat de la part du prophète. Grâce à la suggestion d’un serviteur accommodant, enfin Naaman adopte une attitude d’humilité et d’obéissance à la parole. Immergé dans le Jourdain, une fois guéri, Naaman décide d’honorer le Dieu d’Israël pour le restant de ses jours, avec une seule réserve pour laquelle il présente une demande anticipée de pardon, quand des raisons de fonction publique l’auraient forcé à se prosterner avec son roi devant la statue de Rimmon, le dieu national. Pour finir, on ne peut même pas dire que la foi de Naaman est si “orthodoxe”, à l’état pur, pourtant, Jésus la prendra comme exemple d’une parole qui s’ouvre aux païens!
L’histoire de Naaman, que nous pouvons comparer à n’importe quel épisode de Lourdes et autres, nous dit que le miracle est ambigu. Quand il est reçu avec joie et gratitude, le miracle inspire la foi, mais lorsqu’il est requis, prétendu ou contesté, le miracle devient le principal obstacle à la foi: “Est-ce que les fleuves de Damas, l’Abana et le Parpar, ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël?” “Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire?” (Gv 6, 30) “pourquoi celui-là, et non pas moi?”
A quoi sert-il d’être miraculé à Lourdes, si après je ne me sauve pas au Paradis? Il y a des gens qui cherchent des miracles, ils organisent des voyages et ils courent après les faits extraordinaires qui se passent ici ou là-bas, tout en s’arrêtant au niveau de la curiosité, avec une attitude critique et crédule. Et il y a ceux qui regardent les phénomènes religieux avec un air de contrariété, scepticisme et de supériorité.
Entre les deux choses, celle qui fait la différence est cette foi qui s’exprime par un simple geste de gratitude. Ce n’est pas l’eau qui sauve, pas même le miracle: c’est la foi qui sauve! Dans le langage médical, “le principe de guérison est interne, il est caché dans la maladie elle-même”, mais cela ouvre un autre chapitre. Le Samaritain s’est jeté aux pieds de Jésus: lui seul, étranger marginal d’une compagnie de Juifs, a compris quelque chose de son mystère!
Amen
Astuce : Et une fois que tu as trouvé la page qui contient cette info, utilise la commande de ton clavier ctrl+F afin de faire une recherche sur la page.