Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes
Année C - II de Pâques (Jn 20, 19-31)
par André De Vico, prêtre
correction française: merci à mes amis
“Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant: j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts” (Ap. 1, 17-18)
La nuit de Pâques Jésus Christ est “descendu” au plus profond de la terre, au lieu que les hébreux appelaient “Shéol”, les grecs “Hadès”, et les romans “Infera”, trois dénominations qui, avec des nuances différentes, indiquent la même réalité. Les hébreux pensaient au “Shéol” comme à un lieu dans lequel l’homme, sa parabole terrienne achevée, va mener une existence d’ombre, vaine, sans vie ni relation, tel un avorton qui n’a jamais vu la lumière. Pour les grecs, qui étaient plus intellectuels, l’“Hadès” était le lieu obscur par excellence: “A-(v)id” = “je ne vois pas”” “je me retrouve en un lieu privé de vision”. Pour les romains, “inferus” voulait dire: “souterrain”, les cavernes, les prisons pour les criminels relégués en captivité, les entrailles de la terre . La nuit de Pâques, le Christ est descendu dans la cellule la plus profonde du Royaume des morts, où le Premier Homme, Adam, attendait le jour de sa libération avec les Anciens Pères. Nous le disons tous les dimanches dans le Credo: “Il est descendu aux enfers, le troisième jour il est ressuscité des morts”.
Du point de vue étymologique, le mot “infera”, en latin, est tiré de l’adverbe “infra”, “en dessous de, inférieur à, en bas”. En français le même mot, qu’il soit au pluriel (“les enfers”) ou au singulier (“l’enfer”) signifie deux réalités bien différentes. Au pluriel, “les enfers” correspondent tout simplement à l’ancien “royaume des morts”, de tous les morts, au moins de ce qu’il en reste: des ombres sans conscience ni possibilité d’action, des “apparences” qui dans certaines conditions peuvent même se manifester et tromper les vivants. Dans la réflexion théologique chrétienne qui a suivi, comme le Christ nous a re-ouvert l’accès à la divinité, “les enfers” ont laissé la place à l’“enfer”, en tant que lieu de séparation et de douleur pour ceux qui refusent à tout jamais la communion divine. C’est la notion que nous avons reçue par le catéchisme. En termes modernes, cet “enfer” représente le choix terrible et définitif de la part de l’homme par rapport à Dieu, avec de sérieuses conséquences: absence d’amour, absence de communication, absence de relation. Plus qu’un “lieu physique” précis, l’“enfer” est une “décision” qui avec la mort s’avère irrévocable comme un testament. Personnellement, j’en ai eu conscience par un témoignage inédit que j’ai reçu:
“Le désespoir des autres ne me touchait pas, je me sentais fort et puissant, mais j’étais toujours à la recherche de quelque chose que je n’arrivais pas à avoir, jusqu’à ce que ma vie terrestre se termine. Ma maladie me tortura quelques jours, et quand je compris que le moment était venu, ma souffrance était pour les choses que j’aurai laissées, pour les choses que j’aurais voulu posséder. Puis, lentement, je passai en un état dans lequel, en quelque secondes, je revivais toute ma vie. Je n’eus jamais un petit instant de repentance. Au contraire, je me disais: “j’ai fait tout ce que je voulais faire, et après pour moi il n’y aura plus rien”. J’étais en train de mourir, au moins c’était ce que je pensais. La mort n’existe pour personne: celui qui vit dans le bien, dans la Vie retrouvera tout, et plus que ce qu’il pourrait imaginer. Moi qui n’ai emmené que destruction, douleurs et pleurs, et qui jouissais à cause de cela, à présent je connais les douleurs que, vivant, j’ai causé aux autres …”
Laissons de côté la tristesse d’une âme perdue, et cherchons à remonter les étages plus hauts. La cosmologie ancienne divisait le monde en trois plans: le “ciel” pour les êtres divins, la “terre” pour nous les hommes, et les “enfers” (shéol, hadès) pour les morts, les démons et les divinités chthoniques (liées à la terre).
Il y a une belle BD, “Le soleil des morts” (1) qui représente comment pouvait être la vie il y a 4500 ans, en “une large vallée, creusé au cœur des Alpes, parcourue par un fleuve que l’on nomme aujourd’hui le Rhône …” L’auteur est un archéologue qui en interprétant les données fournies par des fouilles dans la nécropole préhistorique du “Petit Chasseur”, identifiée en 1962 face à la ville de Sion, montre de quelle façon la vie des premiers “citoyens” de la région était intimement liée au cycle du soleil et des saisons. En hiver le soleil “mourait” et allait de l’autre côté de l’horizon illuminer le royaume souterrain. Le problème se posait quand dans l’ “au-d’ici’’ la belle saison tardait, et les réserves alimentaires commençaient à s’épuiser: c’était une question de vie ou de mort! La croyance populaire se révoltait contre le chef de la tribu, qui en même temps exerçait le pouvoir chamanique et sacerdotal. Aujourd’hui les choses n’ont pas vraiment changé: si le système tombe en panne, personne ne saura l’expliquer scientifiquement, pourtant les gens veulent la tête du président, ce que démocratiquement l’on appelle: “démissions”.
Ce schéma du monde divisé en trois étages est désormais obsolète. Comme avec les instruments modernes d’observation nous avons augmenté notre perception sensorielle, nous nous sommes rendus compte que dans le ciel il n’y a que des milliards d’étoiles et des immenses phénomènes célestes, tandis que sous la surface de la terre il y a des masses énormes de minéraux et de métaux dans un état de pression et température inimaginable. Tout au plus, avec un coup de chance, nous pourrions rencontrer des extraterrestres. Et alors, où sont-ils passés, les esprits de l’“autre monde?” L’homme moderne liquide la question en bloc, tout en croyant que “au-dessus” et “au-delà” de lui il n’y a rien, mais en réalité il ne se rends pas compte avoir transféré le monde des esprits en d’autres canaux de représentation. Chassés du cosmos, les esprits refont surface dans le monde de la culture, de la mode, de la bande dessinée, du cinéma, de la littérature, du rock … en conditionnant la vie des hommes - surtout des jeunes et des enfants - ni plus ni moins que dans la préhistoire. Le monde des esprits a été “transféré” de la cosmologie à la psychologie. D’après la psychanalyse (Freud en faisait un point en son honneur) les “enfers” pourraient s’appeler: le “Ça”, le monde de l’inconscient” qui est en nous. Dire que l’“enfer” des anciens correspond au “Ça” freudien n’est pas tout à fait exact, ce n’est que une métaphore, mais le concept est intéressant: vu que Freud a maltraité les anciennes représentations bibliques et mythologiques, il n’est pas grave de lui rendre la politesse en renversant ses catégories pour exprimer le message chrétien.
Bien en avance sur le père de la psychanalyse, Saint Macaire de Scété, moine et abbé égyptien du IVème siècle, dit: “quand tu entends que le Christ est descendu aux enfers et libera les âmes qui étaient prisonnières dans les tombeaux, ne crois pas que ces choses soient si lointaines de ce qu’il se passe aujourd’hui. Crois-moi: ton cœur est un sépulcre” ( ). Il est bien vrai que nos cœurs deviennent des tombeaux quand il y a la mort, le désespoir, l’angoisse, la peur, mais surtout quand il y a le péché. Je peux bien “descendre aux enfers” moi aussi, de mon vivant, quand je m’abandonne à l’ennui, à l’alcool, à la drogue, à une sexualité sordide, quand je passe ma vie en manipulant celle des autres. Et encore: un mariage qui devient difficile, un résultat médical funeste, une profonde dépression … ce sont comme des portes qui s’ouvrent sur un abîme, sur une “vie d’enfer” qui s’annonce, comme l’on dit. Le Christ n’y est pas descendu qu’une seule fois: il y descends continuellement, en tout endroit où il y a une personne liée à son mal: “Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel!” (Sal 129)
1) André Huot, “Le soleil des morts”, Ed du Lombard, Bruxelles, 1992
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