Année A - II Carême - (Mt 17, 1-9) Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière”.
Un visage humain qui brille comme le soleil! Qu’est-ce que la lumière? L’Univers est fait de lumière. Si dans n’importe quelle partie de l’Univers nous prenons un atome et le cassons, il y a une explosion du noyau qui transforme le tout en un éclat de lumière! La matière est faite de lumière: si nous prenons un caillou et que nous accélérons son mouvement à une vitesse inimaginable, il devient lumière, énergie, quelque chose qui ne peut pas être saisi, mesuré, conceptualisé!
Dans la cosmologie ancienne, basée sur l’observation directe, l’Univers était considéré comme stationnaire et éternel. Il semblait que les étoiles ne bougeaient jamais, que la terre était au centre du Cosmos et l’homme au centre de la terre. La cosmologie moderne a changé cette vision du monde. Avec les outils d’observation actuels, nous avons compris que l’Univers avait également un début, une histoire qui lui est propre, et qu’il est actuellement en expansion. La terre s’est retrouvée petite, comme un grain de sable perdu dans l’immensité du Cosmos, parmi des milliards de galaxies, d’étoiles et de planètes qui se déplacent dans toutes les directions, sans but, sans destination, sans finalité apparente. Nous avons également réussi à donner un âge à l’univers que nous pouvons observer: près de 13,4 milliards d’années. Le soleil est né il y a 5 milliards d’années et la terre un peu plus tard. En faisant l’analyse de la lumière provenant des corps célestes et issue d’un passé lointain, les cosmologues s’engagent à reconstruire l’évolution de l’Univers. L’horizon de nos connaissances s’est élargi de manière incroyable, mais il y a d’autres découvertes à faire, d’autres choses à comprendre. Voici quelques exemples formidables de questions cosmologiques:
“J’ai toujours eu l’impression qu’il y a une réalité derrière la réalité, il y a lieu de se poser beaucoup de questions. J’ai toujours pensé qu’il y avait autre chose, au-delà des apparences. Je voulais jeter un œil dans les domaines de la poésie et du mysticisme” (1)
“Derrière ce qui change, il y a quelque chose qui ne change pas. Schrödinger et Heisenberg étaient des esprits mystiques, ils ont développé une mystique de la science dans laquelle je me reconnais” (2)
“Un physicien moderne étudie la physique quantique les jours impairs et médite sur la relativité gravitationnelle les jours pairs. Dimanche, il prie, pour que quelqu’un trouve la corrélation entre les deux” (3)
“Il semble aujourd’hui que la science ne pourra pas lever le voile qui entoure le mystère de la création. Pour le scientifique qui tout au long de sa vie a été guidé par la croyance dans le pouvoir de la raison, cette histoire se termine comme un cauchemar. Il a gravi les montagnes de l’ignorance et est sur le point d’atteindre le plus haut sommet; quand il parvient à atteindre le dernier rocher, il est reçu par un groupe de théologiens qui y sont assis depuis des siècles” (4)
La lumière visible, l’être sensible et l’univers observable sont donc comme un voile ou un rideau sur une réalité plus vraie et plus complète, c’est comme “la porte qui divise les chemins du Jour et de la Nuit” (Parménide). Dans l’expérience cosmologique et philosophique, la vraie réalité est poésie, elle est mystique, elle est quelque chose qui ne change pas, elle est la corrélation des mondes. Il y a une lumière qui ne peut pas être vue, il y a un être au-dessus de l’être, il y a un monde qui n’est pas donné par la Nature, mais qui se construit par l’Esprit. La philosophie a parlé “d’un être sensible et d’un être intelligible”, la liturgie des “choses visibles et invisibles”, mais il n’y a pas de grande différence entre les deux points de vue.
Au cœur de l’épisode de la Transfiguration, nous trouvons l’impératif céleste qui enjoint aux trois disciples d’écouter Jésus: “… et voici que, de la nuée, une voix disait: ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie: écoutez-le!’ ” (Mt 17, 5). Écouter, c’est ob-audire, c’est-à-dire prêter l’oreille, prêter attention, obéir. Jésus a été le premier à entendre la voix du Père : maintenant c’est le Père qui demande la même chose aux disciples de Jésus, par rapport à lui. Dans toute famille où règne l’ordre et l’amour, il y a la loi de l’écoute réciproque, il y a l’un qui prête l’oreille à la parole de l’autre. La correspondance entre la parole dite et celle qui est entendue, a le pouvoir de lier les gens, leurs volontés, leurs destins, leurs ressources ... Ce n’est pas pour rien que la nôtre est une religion de la Parole.
Il est écrit: “… depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre: d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie?” (Dt 4, 32-33). Terrible expérience, celle d’écouter la Parole de Dieu! Les Juifs avaient même peur d’en mourir. Et nous, quand le dimanche nous entendons dire: “Parole de Dieu”, comment sont nos oreilles? Ont-elles l’impression d’avoir entendu quelque chose de grand, ou nous sommes-nous habitués à cela? Avons-nous trouvé une présence dans ces paroles? Nous sentons-nous changés en quelque chose, ou sommes-nous toujours les mêmes? Notre messe est-elle plate, toujours la même? Il ne s’agit pas d’une vague spiritualité, mais de la capacité de lire la volonté du Père, celle de se conformer à Jésus au long de notre vie: s’il est le Fils, il nous faut devenir comme lui: des fils!
Toutes les Écritures nous parlent de lui. Bien sûr, il y a aussi des pages terribles de violence, de haine et de tricherie, et pourtant nous sommes invités à lire avec l’attitude d’un fils à l’écoute. À l’école on enseigne aux jeunes la lecture critique d’un texte, une approche scientifique d’un sujet, d’un auteur, d’une période historique, et c’est une chose excellente. Mais dans cette page d’Évangile il y a bien plus: le Père lui-même, Dieu, veut que nous prêtions une écoute filiale, certainement plus intense et engageante que pour tout autre type de lecture.
L’écoute attentive de cette Parole est une chose extrêmement sérieuse car elle change la vie, elle transforme la personne, elle atteint le cœur de sa vocation. Normalement nous pensons que pour avoir la foi, nous ne devons pas avoir de doutes, comme si la foi était composée d’un sujet, d’un prédicat et d’un complément d’objet. En réalité, la foi n’est pas comme une affirmation claire et distincte d’une science cartésienne exacte, mais elle s’exprime dans une confiance entre personnes. C’est une Parole qui nous dépouille de toute sécurité. Abraham écoute et - à son âge! - il part vers d’autres horizons. Dieu parle et Moïse - au lieu de prendre sa retraite - commence l’exode.
Avec l’Évangile d’aujourd’hui, nous aussi, nous avons atteint le mont de la Transfiguration: l’expérience de Pierre, Jacques et Jean n’est qu’un avant-goût de ce que nous sommes destinés à devenir. Ils en avaient besoin pour surmonter les événements imminents de la passion. Nous en avons besoin pour traverser cette vie, un désert où nous portons encore le poids de la matérialité et de l’animalité. Pierre voulait rester là, dans cette extase indescriptible, mais Jésus le secoue et lui rappelle l’urgence de retourner dans la vallée. Il en va de même pour toute expérience mystique authentique: juste un aperçu de lumière qui arrive à des moments cruciaux, juste assez pour nous donner la force de continuer.
(1) Cf Hubert Reeves, “L’Univers”, Collana “A voix haute”, Editions Gallimard, 2009
(2) Entretien avec Hubert Reeves, par Jacques Languirand. Édition: Stéphanie Adam Le Roch/ Les Productions Minos Ltée
(3) Norbert Wiener …
(4) Cf. R. Jastrow, “God and the astronomers”, New York, 1978, p. 11
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