Année A - V Dimanche de Pâques (Jn 14, 1-12) Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par André De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Philippe lui dit: ‘Seigneur, montre-nous le Père; cela nous suffit’. Jésus lui répond: ‘Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe! Celui qui m’a vu a vu le Père’ ”
La première lecture présente des tons d’optimisme triomphant: “La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi” (Actes 6, 7). Même les prêtres adhèrent à la foi! C’est quelque chose de si inhabituel qu’il faut le mettre en évidence! Cela signifie qu’il est difficile de croire dans le Christ. Alors si un prêtre croit, nous pouvons être sûrs que le Royaume de Dieu avance! Bien sûr, ce sont des prêtres de l’Ancien Testament, nous sommes dans une phase où le christianisme ne se distingue pas du judaïsme. Jésus lui-même et ses apôtres n’ont certes pas cherché à fonder une nouvelle religion, mais se sont placés dans le sillage de l’ancienne tradition.
Le sacerdoce juif, représenté par les descendants d’Aaron et de Lévi, visait à la garde du sanctuaire et de l’autel: “Vous assurerez la charge du sanctuaire et celle de l’autel; ainsi il n’y aura plus de colère contre les fils d’Israël” (Nom. 18, 5). Ce sacerdoce, transmis de père en fils, s’est exprimé dans l’offre de sacrifices d’animaux. Dans les années 70 après le Christ, à la suite de la destruction du Temple, ce type de sacerdoce, qui a duré mille ans, a complètement cessé.
En offrant son sang sur l’autel de la Croix, Jésus-Christ a établi un nouveau sacerdoce, qui à vrai dire s’est résolu par la reprise d’un sacerdoce archaïque, existant avant le sacerdoce lévitique. La lettre aux Hébreux (c. 7) explique le passage en disant que le Christ est devenu prêtre “à la manière de Melchisédech”, un ancien personnage sans généalogie, qui a régné dans les lieux primordiaux qui ont ensuite donné naissance à la ville de Jérusalem. Nous ne savons rien de lui, à part le fait qu’il a offert du pain et du vin “au Dieu Très Haut”, sans avoir besoin de recourir aux droits dynastiques! Comme Abraham lui a payé sa dîme en recevant une bénédiction en retour, c’est un signe que ce sacerdoce archaïque, repris par le Christ, est supérieur au sacerdoce historico-lévitique!
Le sacerdoce catholique se réfère au Christ, mais parfois on dirait que nous avons exhumé certains apparats, rituels, légalismes et hiérarchies qui ont le parfum de l’Ancien Testament. Il y a des prêtres et des congrégations de prêtres qui, par leur mentalité et leur façon de se comporter, feraient meilleure figure dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau.
Quand Philippe dit: “Montre-nous le Père; cela nous suffit”, nous percevons dans l’inflexion de la voix du Christ, un certain regret, une veine de tristesse: “Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe! Celui qui m’a vu a vu le Père”. “Montre-nous le Père!” C’est-à-dire: Montre-nous Dieu! Tous le cherchent, chacun à sa manière. L’hindou à travers la vie ascétique et la libération de l’angoisse. Le bouddhiste à travers le renoncement au désir et la réalisation de l’illumination. Le Juif par l’espérance dans la promesse faite aux anciens Pères. Le Musulman avec foi en un Dieu unique et personnel, auquel il prête obéissance et soumission.
Combien de travail, d’erreurs et de chutes dans la recherche humaine de Dieu! Les hommes, en avançant par leurs propres moyens, voient la ligne d’arrivée. Ils atteignent le château, mais ils trouvent souvent le pont-levis levé. Il faut quelqu’un à l’intérieur pour l’abaisser et ouvrir la porte. Jésus-Christ se présente comme le chemin de Dieu vers l’homme, il est donc le chemin de l’homme pour atteindre Dieu, ce qui nous permet d’entrer.
Il y a des gens qui, naïvement, parce qu’ils veulent mettre tous d’accord, ou parce qu’ils traitent le sujet avec une paresse et une superficialité désarmante, disent que toutes les religions sont égales, que toutes les voies sont également bonnes et vraies pour atteindre Dieu. En réalité, cette égalité indifférenciée, en plus de mettre en évidence la terrible ignorance du locuteur, se traduit par un relativisme qui offense et mortifie toute possibilité de compréhension mutuelle. Si tout est bien égal, si une chose vaut l’autre, alors il est inutile d’en parler, tout le monde rentre chez soi sans vraiment avoir compris l’autre.
Une autre grosse erreur est de nous présenter aux autres avec une conviction de supériorité culturelle, le colonialisme de la foi. En réalité, même si nous montrions notre supériorité, avec tous les arguments que nous pouvons élaborer en notre faveur, une telle détermination ne profiterait à personne, pas même aux intérêts de Jésus-Christ, qui veut le salut de tout homme qui s’adresse à Lui. Notre tâche est plus simple: suivre la voie du Christ et la proposer aux autres non pas selon nos idées, mais selon son mandat.
Même la culture chrétienne, avec tous ses monuments et ses systèmes conceptuels, est relative. Elle doit se plier aux besoins de l’Évangile, et non l’inverse. Saint Augustin l’avait déjà déclaré: s’il est vrai qu’il y a plusieurs voies qui mènent à la vérité, il est également vrai que Jésus-Christ est la vérité elle-même qui se fait chemin! “Pour Dieu, c’était peu de donner son Fils pour montrer le chemin; il en a fait le chemin, que vous pouvez parcourir sous sa direction, le chemin que vous pouvez suivre” (1)
La page d’aujourd’hui nous ramène à l’atmosphère dramatique de la veille, au discours d’adieu de la dernière Cène. C’est le soir des confidences: nous entrons ici dans les sentiments du Christ! Il sait ce qui va se passer, son cœur est triste, mais il invite les siens à surmonter la perturbation des événements qui se profilent. Il ressemble à un condamné en attente d’exécution; il goûte déjà le verre de la passion, mais il parvient à dire à ses proches de rester calmes, quoi qu’il arrive. Au-delà de la tranquillité apparente du texte, le drame de la Foi émerge. Jésus insiste six fois: gardez la paix malgré l’épreuve!
Nous sommes des disciples du Christ, nous avons reçu la Foi, nous avons pratiqué les commandements, nous avons étudié la théologie et suivi notre vocation. Mais en pratique, on se retrouve toujours à la case de départ, comme Philippe: “Seigneur, montre-nous le Père; cela nous suffit”.
Jésus nous demande de ne pas céder aux perturbations; il nous encourage à persévérer dans la Foi, et nous, en réponse, nous lui demandons quelque chose qu’il nous a déjà donné! Dans notre vie de Foi, nous accumulons nos retards, nos malentendus, et nous entendons la douce réprimande du Maître: si longtemps … et vous ne me connaissez pas?
(1) Cf. Saint Augustin, Sermon sur le Psaume 109
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