Année A - XXVI Ordinaire (Mt 21, 28-32) Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit: ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne’. Celui-ci répondit: ‘Je ne veux pas’. Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second …”
Le succès de la prédication de Jésus soulève une énorme controverse. Alors que les collecteurs d’impôts, les prostituées et les pécheurs se mettent à l’écoute - il mange et il boit avec eux - les scribes et les pharisiens, les prêtres et les anciens sont scandalisés: quel genre de prophète est-il, avec toutes ses mauvaises fréquentations? Pour justifier ses amitiés douteuses, Jésus poursuit la contre-attaque avec une parabole: “Un homme avait deux fils …”
Chaque fois que Jésus parle de Dieu, il utilise la seule métaphore autorisée par la religion biblique: un être humain. Le royaume des cieux est comme un homme qui a planté une vigne ... comme un père de famille ... comme un marchand ... comme un chercheur de perles ... comme une femme au foyer ... Les Juifs avaient développé le concept du mystère de Dieu, de sa présence mystérieuse. Il s’agit d’un Dieu caché: personne ne peut dire qui il est, où il est, et ce qu’il fait, contrairement aux autres divinités de l’Antiquité qui résidaient au sommet des montagnes, dans les temples ou dans les bois. Dieu ne peut être contenu dans un objet, une image, une statue, un arbre, un lieu, une montagne? Peut-on d’ailleurs prétendre prouver son existence avec des lentilles optiques, dans l’infiniment grand de l’univers ou dans l’infiniment petit des particules subatomiques? Non: l’ancien commandement ne permet aucune figuration de Dieu, aucune image, aucune sculpture, aucune idole, aucune philosophie, aucun concept, aucune connaissance scientifique, même son nom doit rester imprononçable. Et nous nous appliquons à construire de nombreuses théories sur lui, en perdant le sens de sa présence!
Pourquoi interdire de représenter Dieu en images? Quel est le signe qui convient pour le révéler? Il est simple de répondre à la question, car un être qui le représente est déjà là: l’homme. Si tu veux avoir une idée de Dieu, tu dois regarder sa meilleure œuvre: l’homme, fait à son image et à sa ressemblance. Ce n’est pas qu’il y ait une identification entre Dieu et l’homme: c’est encore une métaphore, un terme de comparaison: là où il y a humanité réalisée, il y a Dieu, là où il n’y a pas d’humanité, il peut aussi y avoir la bête ou le diable. À la fin de la modernité, on constate que les sur-hommes n’existent pas, les super-bêtes, oui.
Ainsi, dans la parabole des fils différents, voici un père de famille qui demande au premier enfant de reprendre son travail à la vigne. Un signe qui marque la confiance du père. En effet, il lui confie quelque chose de très cher et de précieux, voyant en lui la compétence et la capacité de parvenir à un résultat. Mais il semble que ce fils ne saisit pas la finesse et, se considérant déjà adulte, ne voulant pas faire la figure du jeune garçon qui dépend encore de son père, il refuse de partir, mais change d’avis un peu plus tard. Pendant ce temps, le père transmet l’ordre à l’autre fils qui répond rapidement: oui seigneur, mais qui se laisse ensuite distraire par une joyeuse compagnie d’amis oisifs rencontrés dans la rue.
Il se passe quelque chose dans le cœur des deux garçons, quelque chose qui ne correspond pas aux déclarations extérieures: l’obéissance substantielle du premier, et l’obéissance uniquement formelle du second. Le premier fils, un bon garçon qui s’est tout d’abord révolté, mais s’est ensuite repenti d’avoir déçu son père, se rend au vignoble sans rien dire et y travaille toute la journée. Puis, il rentre chez lui satisfait et la paix au cœur, car il a accompli son devoir. Le second, en revanche, un menteur et un lâche - il a quitté la maison pour aller travailler, mais ensuite il a séché le cours - s’est perdu à errer dans la ville.
Le soir, tous les deux reviennent. Le premier est sale et ébouriffé, mais avec un cœur heureux et un salut sincère. L’autre, en revanche, a l’apparence fatiguée de la personne oisive, l’habit en bon ordre et le salut incertain donné à son père, de peur d’être découvert. En fait, le père les compare, et d’un coup d’œil il comprend comment ils ont passé la journée. Ces enfants sont tous deux incohérents. L’incohérence du premier est compréhensible, de type adolescent: dire non, puis le regretter et accepter la consigne. La seconde est une incohérence traîtresse: dire oui avec des mots, puis faire l’inverse.
Pour répondre à la controverse de ses adversaires, Jésus applique cette parabole à l’histoire du Baptiste: “Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru en sa parole; mais les publicains et les prostituées y ont cru”. En effet, les pécheurs et les prostituées se sont convertis, les prêtres et les anciens, non! Jean, d’une part a reçu un accueil, et d’autre part a essuyé un refus, tout comme l’homme de la parabole!
Et cela ne s’arrête pas là: toujours en vertu de la même parabole, Jésus dit que Dieu n’apprécie pas celui qui au Temple dit: “Seigneur! Seigneur!”, se battant la poitrine sans un véritable repentir, observant les rites pieux pour se sentir bien en lui-même, puis, étant sorti, il ouvre la bouche et il parle des autres de façon déplacée. En fait, les religieux sont les sujets les plus difficiles à convertir, alors que toute cette basse-cour, ignorante et mal élevée, si loin de la volonté de Dieu, quand elle la rencontre, est la première à l’accueillir avec joie. Alors ils précèderont beaucoup d’autres gens qui estiment être les grands, les maîtres, les saints! Les premiers qui entreront en dernier, et les derniers en premier!
Quant aux prostituées, il n’y a pas de texte évangélique plus mal compris que celui-ci. Dans la culture villageoise, il est dit que Jésus a également béni la prostituée, un malentendu qui a fourni un laissez-passer improbable pour des hommes maladroits. De même, dans la haute culture, une sorte d’ aura évangélique s’est créée autour de la figure de la prostituée, idéalisée et opposée à celle de l’hypocrite bien-pensant. La littérature et le cinéma regorgent de braves prostituées, comme La Traviata de Giuseppe Verdi, ou la Sonia du Crime et Châtiment de Dostojevski, ou la Pretty Woman américaine. En réalité, le marché de la prostitution se nourrit de fantasmes, de pensées et de regards, mais ce n’est pas ça qui provoque l’indignation de Jésus. La prostitution et les prêts usuraires construisent un monde triste, minable et dégradant, qui réduit l’être humain à un esclave, à une chose. Il n’est donc pas possible d’idéaliser la figure de l’usurier ou de la prostituée!
Une fille qui se tient derrière une caméra ou une webcam avec un air d’innocence étudiée, pour vendre son image, se jette dans la convoitise des autres, justifiant le fait qu’il ne s’agit que d’ une image. En réalité, l’image appartient à la personne, comme le corps, sinon il n’y aurait pas non plus de droit à l’image. Celui qui vend son image, y attache inévitablement aussi sa personne, il s’agit proprement d’une prostitution, même si elle n’est pas physiquement consommée. D’ailleurs, qui se déshabille gratuitement dans le monde du porno?
De l’autre côté, l’utilisateur de l’image est comme un idolâtre qui observe son fétiche et introduit en lui un principe de dégénérescence: son cœur devient pierre, bois, encre, pâte numérique. Le résultat est une diminution de l’humanité.
Ce que Jésus bénit n’est pas la prostituée, mais la prostituée convertie en cœur et en vie. Ce qui dans le contexte de la parabole provoque l’indignation de Jésus, ce ne sont pas les usuriers ni les prostituées qui dans le royaume passent en avant, mais des notables et des prêtres qui restent en arrière!
Amen
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