Année A - XXI per Annum (Mt 16, 13-20) Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples: ‘Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme?’ Ils répondirent: ‘Pour les uns, Jean le Baptiste; pour d’autres, Élie; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes’. Jésus leur demanda: ‘Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?’ Alors Simon-Pierre prit la parole et dit: ‘Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant!’ ”
La question que Jésus pose à bout portant à ses disciples, dans la pause de tranquillité à Césarée de Philippe, ressemble un peu à nos sondages: que disent les gens sur moi? Les réponses sont également immédiates et disparates: qui dit ceci, qui dit cela. Mais Jésus n’est pas intéressé à mesurer le niveau de sa popularité. Sa présence n’est pas de type médiatique, et sa mission ne se mesure pas à l’applaudimètre. Au salon de la vanité, tout le monde aspire aux premières places, mais la scène ne peut accueillir qu’un petit groupe d’élus, ces quelques-uns qui passent la sélection, ce qui est cependant très discutable. Les gens qui ne peuvent pas percer le sommet essaient de le faire à un niveau inférieur, dans le cercle d’amis et de connaissances proches, au travail, à la maison: l’important est qu’ils soient admirés, vénérés, remplis de compliments.
Dans la question de Jésus, il n’y a rien de tout cela; il a un autre but, et en fait il poursuit avec une seconde question inattendue, qui les surprend complètement: “Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?” Il envisage la personne! Si auparavant ils avaient répondu tous ensemble, comme des écoliers, maintenant il n’y en a plus qu’un qui semble répondre au nom de tous: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant!” Avant, pour répondre, il suffisait de regarder autour de soi: il est relativement facile de saisir les opinions des gens, de dire ce que les autres disent. Maintenant, ils sont obligés de regarder à l’intérieur d’eux-mêmes, pour donner une réponse personnelle. La foi se décide non pas sur la scène, mais personnellement, au fond de soi-même!
Jésus mesure la qualité de la réponse de Pierre avec un facteur qui va bien au-delà de sa personne: “Heureux es-tu, Simon fils de Jonas: ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux”. Pierre a été éclairé d’en haut! C’est la première fois dans l’histoire qu’un homme exprime un acte de Foi en public envers Jésus! Un acte aux conséquences inimaginables! En fait, la profession de Pierre est comme le sillage d’un navire qui s’est progressivement élargi dans l’histoire, jusqu’à ce qu’il atteigne les extrémités de la terre. Un parcours avec une pointe bien précise: la Foi de Pierre! Jésus lui-même le dit, en utilisant une image claire de stabilité: “Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle”.
Dans ce contexte, lorsque Jésus dit: “non prevalebunt” (“ils ne prévaudront pas”), il fait référence aux pouvoirs des enfers, c’est-à-dire aux escadrons d’anges maléfiques qui entravent le plan de Dieu. Ce sont des pouvoirs qui agissent cachés, se révélant plus forts que les pouvoirs mondains: voici notre vraie bataille. Malheureusement, l’expression de Jésus, tout au long de l’histoire, a été comprise avec un sens politique, comme si l’Église était destinée à triompher des puissances du monde. Nous avons confondu l’Église triomphante du Paradis avec les triomphes beaucoup plus modestes de ce monde, nous recherchons également la scène du pouvoir politique et temporel.
Mais revenons à la question de Jésus: aujourd’hui comme à l’époque, au niveau de l’opinion publique, les idées qui se font à son sujet sont parmi les plus disparates. Il y a ceux qui l’exaltent et ceux qui le couvrent de mépris: crucifié comme un malfaiteur, rejeté au premier référendum de l’histoire qui l’a mis à égalité avec Barabbas!
Ils disent qu’il était un prophète subversif, un précurseur de Mohammed, un successeur de Bouddha, un réformateur religieux, un maître de morale, un grand homme, un idéaliste, un conducteur de foules, un communiste, un fasciste, etc, etc. Dans les sondages d’opinion, il y a toujours une grande confusion de visages, de personnages, de faits. Jésus et Jean-Baptiste avaient prêché presque simultanément, à différents endroits, avec des messages différents: ils étaient cousins de sang, mais les gens les confondaient. Il y a des gens qui, rencontrant la figure de Jésus-Christ dans la philosophie, les romans et les films, plutôt que de se changer eux-mêmes, prétendent changer le Christ. Ils veulent un Christ attrayant, qui leur ressemble, qui approuve leurs passions religieuses, politiques et sexuelles, qui les laisse tranquilles, qui ne demande pas de décisions, qui reste à sa place, derrière le bouclier protecteur des opinions des autres. Ils se limitent à ce que disent les gens, ce qui ne leur permet pas de se poser la question personnelle fatidique et exigeante: “Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?”
Nous pourrions également comparer la profession de Foi de Pierre en Jésus avec la divinité attribuée pendant plusieurs siècles à Pythagore par des générations de ses disciples. Les chrétiens et les pythagoriciens avaient déifié la figure charismatique de leur maître et fondateur. Quelle différence y a-t-il entre les deux personnages?
Pythagore (1) figure parmi les figures les plus mystérieuses, prestigieuses et fascinantes de l’Antiquité, son œuvre (VIe siècle avant JC) précède de quelques siècles celle de Socrate, Platon et Aristote. Il était d’un génie unique, il a jeté les bases de la philosophie (il semble en avoir même inventé le terme), des mathématiques (il a développé l’idée d’une logique mathématique), de la musique (la découverte des lois numériques qui sous-tendent les consonances musicales de base: quartes, quintes, octaves) et l’astronomie (première description de la nature en tant que cosmos, un ensemble ordonné et beau, et la découverte, oubliée ensuite, de la sphéricité de la terre ...)
Pythagore était à la tête d’une organisation sociale puissante et durable, dont l’influence directe est attestée depuis plus de 150 ans dans toute la Magna Grecia (sud de l’Italie). Il a fondé des associations religieuses dont les membres se sont réunis pour écouter les enseignements du maître, sous un vœu strict de silence et de secret. Des observances rituelles ont suivi, des prescriptions diététiques végétariennes … Certains d’entre eux ont atteint des positions de pouvoir politique, d’autres ont affiché un mode de vie austère semblable à des moines médiévaux ou des représentants de la culture hippie: ascètes pieds nus qui ne se sont jamais lavés, cheveux longs, barbe hirsute, manteau usé, sac et le bâton de mendiant …
La personnalité charismatique de Pythagore a donné naissance aux différents récits légendaires de sa vie. Ses partisans ont élargi sa figure dans une mesure improbable, divinisant son caractère, lui attribuant les doctrines qui ont été progressivement acquises, l’élevant à l’emblème du sage omniscient et thaumaturge, suivant le nouveau type de vie inauguré par lui, la soi-disant voie pythagoricienne.
La différence entre le Christ et Pythagore face à leurs disciples respectifs est frappante. Selon ce passage de l’Evangile, ce ne sont pas les disciples qui font le Maître: c’est le Christ qui pose la question de son identité, et la réponse qui en ressort n’est même pas humaine, mais elle est suggérée d’en haut! Dans un autre passage, Jésus dit: “Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis” (Gv 15, 16). Pourquoi Jésus mettrait-il un simple pêcheur à la tête de son Eglise? Un homme sans formation doctrinale, une personnalité plus impulsive que courageuse, précipitée dans les décisions au point de commettre des imprudences, et qui a donné une mauvaise preuve de soi lors du reniement? Un tel homme pourrait-il gouverner l’Église? Qu’est-ce que Pierre avait de plus que les autres? La réponse est simple: la Foi! C’est la Foi en Christ qui fait la différence!
(1) Cf. Charles Kahn, “Pitagora e i pitagorici”, in “Enciclopedia multimediale della scienze filosofiche” Treccani, Vol. II, Roma 1993
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