LA CANANÉENNE

Année A - XX  Ordinaire (Mt 15, 21-28)                                                                                  Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice      

 

 

      “Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant: ‘Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David! Ma fille est tourmentée par un démon’. Mais il ne lui répondit pas un mot”

      

      Cette femme cananéenne descend d’un peuple qui habitait la Palestine avant l’entrée tumultueuse des Juifs. Une païenne, donc, et les païens étaient méprisés par les Juifs croyants. L’attitude de Jésus semble donner du crédit aux préjugés religieux. La femme se met à crier pour sa fillette qui est malade, mais voici la première douche froide: aucune attention à son égard de la part de Jésus. Étrange, pour quelqu’un qui jusque-là avait fait tant de bien. 

      

      Mais la femme continue d’insister. Le dérangement est tel que même les apôtres voudraient l’éloigner du chemin: “Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris!”. Jésus oppose un deuxième refus clair, non pas directement à la femme – entendons-le  bien - mais aux apôtres: “Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël”. En effet,  Jésus a surtout prêché en Israël, avec un rare empiètement sur un territoire étranger. C’est comme pour dire: je n’ai rien à voir avec elle. Avec une telle attitude, nous serions partis, scandalisés et offensés.  

      

      La Cananéenne,  elle n’est pas offensée et elle n’est pas susceptible.  Elle revient à l’attaque et se prosterne devant lui, l’obligeant à s’arrêter: “Seigneur, viens à mon secours!” En réponse, elle reçoit une remarque qui aurait vraiment exaspéré quiconque l’aurait entendue: “Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens”. C’était comme déclarer officiellement irrecevable la demande d’un païen, et cela dans les termes de l’outrage et du préjudice. Et sans confusion, elle l’admet: “Oui, Seigneur; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres”. Comme pour dire: je ne veux pas le pain destiné à Israël, je ne veux pas de traitements spéciaux, je ne demande que quelques miettes ...

      

      À ce moment-là, Jésus jette l’éponge et il s’abandonne à une manifestation d’enthousiasme: “Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux!” Quelque chose de similaire s’est également produit dans l’épisode du centurion romain: “Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi”. (Mt 8, 10) Jésus cherche expressément la foi dans les gens, et il la trouve là où il l’attend le moins, parmi les païens! N’est-ce pas extraordinaire? 

 

      Dans le cas de la Cananéenne, Jésus semble jouer vers le haut, plaçant un obstacle toujours plus grand entre lui et elle, comme dans une compétition de saut en hauteur. Si Jésus avait écouté la femme à la première demande, elle aurait gagné la guérison, mais pas la foi. En faisant le difficile, Jésus a amené la femme à lui faire confiance, lui arrachant ce dernier cri d’enthousiasme, brisant un puissant préjugé. La femme devient une vraie croyante, sans étiquette: païenne? juive? chrétienne? musulmane? Non: croyante!, et c’est tout. Pour nous qui raisonnons par catégories, cet enthousiasme de Jésus demeure incompréhensible: pour nous, une personne de foi doit au moins réciter une fois le credo officiel, face à la communauté.

 

      Dans ses pérégrinations apostoliques, Jésus a fait ces petites plaisanteries plus d’une fois. Il allait partout comme s’il avait une sorte de thermomètre pour mesurer la foi des gens. Parfois, il s’est même exprimé même de façon  ambigüe: “Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?” (Lc 18, 8). Deux fois le thermomètre a risqué de sauter: avec la femme cananéenne et avec le centurion romain. Précisément ceux que les Juifs méprisaient, y attachant le prétexte de la foi! Et que dirions-nous aujourd’hui, en voyant un musulman confiant, bien plus qu’un chrétien sceptique, entrer dans les sympathies de notre grand ami Jésus?

 

      Face à la scène brute de ce passage, on peut aussi se demander: comment se fait-il que  Jésus traite une mère comme cela? En réalité, Jésus a dû lui-même s’inquiéter du risque de découragement de la femme qui aurait pu aller jusqu’à renoncer à sa prière. Il savait bien qu’un arc trop serré pouvait se briser. Il semble que la liberté humaine soit également un facteur inconnu pour Jésus, comme si lui-même espérait la résistance de la femme. Ceci peut expliquer l’explosion d’enthousiasme de sa part. Le vrai croyant, comme la Cananéenne, éprouve beaucoup de souffrance à cause de ses  prières apparemment non entendues. Il semble que dans notre foi, à chaque difficulté que nous surmontons, le Seigneur lève la barre, augmente le besoin, nous demande un acte de foi encore plus difficile. Il semble que Jésus, de ce côté-là, ne nous écoute pas, mais c’est peut-être la barre qui est mise de plus en plus haut. Jésus est inquiet aussi pour nous, le résultat n’est pas garanti même pour son omniscience!

 

      La foi n’est pas une marque, tout comme l’étiquette n’est pas le vin. La foi est une rencontre personnelle, et cela est vrai pour tout homme, indépendamment d’une appartenance religieuse ou culturelle formelle. Il y a quelque chose en chaque homme qui ne peut être assimilé à sa religion, sa culture ou sa tradition!

                     

      Amen 

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