VERS LE CONSENTEMENT RESPONSABLE

Réflexion par Andrea De Vico, prêtre,

en l’occasion de la CODIJE du 10 sept. 2019  

correction française: merci à mes amis

 

 

      Impossible de dire en quelques mots ce qui devrait être l’histoire du consentement entre l’homme et la femme, à savoir: le mariage. Si on étudie l’évolution des usages et coutumes des peuples, par exemple le droit romain, on a de quoi se régaler pendant toute sa vie. Toutefois, il devrait être simple de répondre à une question qui dès toujours tracasse nos relations: “que faut-il pour qu’un homme et une femme soient ensemble?” Comme première chose, bien sûr, il faudrait “qu’ils le consentent”, mais cela n’est pas toujours si évident. En fait, historiquement, l’instrument du mariage a plus servi les intérêt du clan, de la famille ou de la société, que l’amour du couple luimême, réputé moins important. Le mariage avant, l’amour après: ça allait de soi.  

       

      La raison de l’appropriation sociale, juridique et religieuse de la relation de couple est évidente: l’union entre l’homme et la femme comporte des enjeux très importants par rapport à l’identité et la reconnaissance de la progéniture, la dynastie, le nom et le patrimoine de famille. Il était important de savoir l’origine des enfants, de quelle famille et quels parents, cela construisait une stricte “protection” de la femme de la part du père, des frères, du mari et de la société en général. Le contrôle de la femme et de sa fertilité constituait une exigence vitale, un devoir et un atout incontournable pour tout groupe humain ou nationalité.  

 

      Tout cela semble surpassé et révolu, puisqu’on à réussi à maîtriser la sexualité de manière scientifique et médicale. Toutefois on dirait que les hommes, en tant que père, mari ou compagnon, ont perdu des points dans leur pouvoir et leur capacité de “protéger”, c’est à dire de “ prendre soin”, de la femme et de son enfant. Par ailleurs, l’actuel contrôle scientifique de la sexualité et des naissances, est-il meilleur du contrôle social qu’autrefois?  

 

      L’humanité a connu une époque dans laquelle on n’avait pas même besoin d’exprimer un consentement: on “prenait” les femmes et c’est tout, pas besoin de demander. Si la population diminuait, on envahissait le territoire ennemi pour chercher des femmes et avoir des enfants. On traitait les femmes comme des “proies”, des “trophées”, des “possessions” interchangeables avec les autres choses et le bétail. On a raison de croire que la “poésie de l’amour” entre l’homme et la femme a été une conquête de l’humanité bien plus tardive.  

 

      La violence qui aujourd’hui frappe la femme a le même caractère que lors de la préhistoire. Nous sommes fiers du chemin de civilisation, pourtant les femmes sont encore traitées en “objets”. Si tu veux vendre une voiture, un outil ou le plus inutile des gadgets, tu dois l’associer à l’image d’une femme à moitié nue qui feint de vouloir faire la coquine. Si tu veux placer un nouveau parfum, tu dois dire qu’il est destiné “aux hommes qui ne demandent jamais rien”, comme si l’on pouvait s’emparer d’une femme par le biais d’un simple parfum magique. Un homme pareil n’a jamais existé, c’est bête de le croire, et pourtant nous accordons à la publicité le statut d’une foi religieuse. Aux temps des patriarches cela se faisait avec les chameaux et les chèvres, comparés aux femmes qu’on mettait à côté: le principe marchand reste le même.  

 

      Les anciens romains ont été des maîtres en la matière du mariage: grosso modo, leurs statuts prévoyaient le rôle prépondérant de la “patria potestas”. Un mariage se fait avec le “consentement paternel”. 

 

      Chez les chrétiens, dans le premier millénaire, il n’y a jamais eu un vrai rituel du mariage. En effet dans ces premiers mille ans, le mariage des chrétiens fut complètement similaire à celui des autres peuples, il a assumé des formes très variées, selon les usages et coutumes des sociétés dans lesquelles les croyants vivaient.  

 

      À partir du moyen-âge, vers l’an mille, les mariages commençaient à être célébré “in facie Ecclesiae”, c’est à dire “en présence de l’Église,” mais pas pendant la Messe, comme nous pouvons facilement nous imaginer. Le souci n’était pas de dire: “ceci est un mariage chrétien”, mais c’était une sorte de notification pour dire à tous que “ces deux-là sont mariés”. Le mariage médiéval à l’Église n’était donc pas une exigence ecclésiale, mais une exigence de “publicité”.  

 

      Le consentement des époux, acteurs du rite, déjà prévu par le droit romain, avait été superficiellement hérité par l’Église médiévale. Le concile de Trente (1545 - 1563) retourne aux époux la force du consentement, avec l’obligation de la publication. La nouvelle normative renforce l’autonomie des contractants, et dépossède les commodités familiales, les communautés locales et les groupes des paires. Avec Trente on réalise un énorme progrès autant civil que religieux.  

 

      C’est à ce point-là que le “mariage religieux”, tel que nous le connaissons, s’impose. Ceux qui aujourd’hui se marient à l’Église, suivent le “protocole” de Trente. Le “mariage civil”, au fond, n’est qu’une variation, qu’une copie plus ou moins conforme du mariage “inventé” par les Evêques, avec la non négligeable différence que dans les mains de l’État le mariage est en train de devenir n’importe quoi. Les “caprices” individuels, devenus des “droits”, prennent la place du “consentement”.  

 

      Pour quelle raison en ce moment précis les Evêques ont averti la nécessité d’un nouvel ordre au domaine du mariage? C’est assez simple en fait: il y a cinq siècles, la “mode” des mariages clandestins s’empare du monde des jeunes. C’étaient des mariages qui se pratiquait arbitrairement, même entre petits jeunes en ȃge pubertaire, sans ordre ni discipline. Ces mariages ont fonctionné ainsi: pour surmonter l’opposition de la famille, les deux amoureux “fuyaient” et “se mariaient” en secret. Pas de parents, pas de consentement paternel, pas de témoins, pas de contrats: un hymne à la liberté de l’amour, dans une dimension d’anarchie. Notre révolution de “68’’ n’a rien inventé.  

 

      En réalité, ce type de mariage a apporté plus de problèmes que de solutions à la famille et à la société de l’époque: il était plutôt un instrument facile de séductions et de tromperies, de bigamie et d’incertitude sur les naissances. Les jeunes abandonnaient les engagements matrimoniaux avec la même facilité qui ils les avaient assumés. Par conséquent il était juridiquement impossible de vérifier un lien, au détriment évident de la femme, qui restait avec le bébé dans les bras, sans parler du statut familial et patrimonial. Les principaux partisans de ce type de mariage, ceux qui encourageaient le couple à consommer l’amour d’une manière précipitée, peut-être un peu stupide et sans garantie, étaient les pairs eux-mêmes.   

 

      L’ancienne mauvaise habitude du mariage clandestin, à certains égards, ressemble à l’initiation sexuelle des adolescents d’aujourd’hui. Le phénomène n’est pas complètement nouveau, seules les modes changent. De nos jours l’initiation sexuelle n’est plus clandestine, elle est bien tolérée et même souhaitée par les parents, à condition que les enfants utilisent les “précautions” techno-médicales nécessaires. Plus rien ne s’oppose à l’exercice sexuel des adolescents, à part le grogne et la tardive perplexité de quelques vieilles gens. 

 

      Aujourd’hui les jeunes semblent être libre de leurs décisions mais en réalité la pression des modèles culturels et des mass média reste probablement très influençante. Les jeunes s’adonnent à l’exercice sexuel non parce qu’ils l’ont soigneusement décidé dans un cadre de responsabilité, tout en respectant les temps de la maturation et d’un futur simple qui va bientôt arriver, mais “pour faire comme les autres”, pour avoir des choses à raconter aux autres, pour se comparer aux autres, pour se divertir comme les autres.  

 

      En fait il s’agit de la vieille tentation de Babel, l’éloge de la confusion, une situation qui se répéta chaque fois qu’Israël oublia sa propre souche “pour être comme les autres peuples”: ils restèrent sans mots, confus dans leur langue. Aujourd’hui comme à l’époque de Trente, c’est la pression des pairs qui fait la différence. Si les garçons de 14 ans sont physiquement encore immatures, les filles du même âge jouent à l’avance, parfois sans scrupules, car elles ont compris qu’elles font déjà une bonne impression aux hommes et savent ce qu’elles veulent, et le veulent tout de suite. Fièrement débarrassées d’une virginité gênante, elles s’appliquent alors à harceler cruellement leurs copines qui n’ont pas encore “baisé’’ ou embrassé un garçon. Le monde des “pairs” semble habité par un conformisme qui vaudrait plus que la responsabilité. En fait, si je me suis brûlé les doigts, je ne supporte pas l’idée que les tiens soient restés “purs”, donc tu dois faire comme moi, tu dois ramasser la même pistache que moi, pour que nos fautes reviennent à égalité et nous restions ce que nous sommes: des “pairs”.  

 

      Dans cette situation-là, l’initiation sexuelle n’est pas un acte libre, mais une copulation aveugle, sourde, muette et instinctive, impossible à inscrire dans le catalogue des actions humaines. Une telle attitude n’existe pas dans le “royaume” des animaux, elle n’est d’aucun intérêt. Pourtant, les jeunes chrétiens d’aujourd’hui se comportent souvent de la même manière que leurs contemporains: il se passent de toute institution ou règle et ils exercent leur vie sexuelle comme il arrive, et la tragédie des relations s’accroît de jour en jour. Anarchie, naturalisme, ou manque de repère?  

 

      Le problème de la pastorale des jeunes ne se trouve pas chez les jeunes, mais est né d’une absence d’adultes. Qu’ont-ils fait les adultes de leurs mariages? Le fléau de notre époque sont “les mariages incohérents”. Les gens à marier se présentent à l’Église avec tout un matériel de théâtre qui frôle l’indécence: “beaucoup de bruit pour rien”, “show hollywoodien’’ qui échoue à la vitesse du web à cause du peu de substance et du beaucoup d’apparences. On se marie à l’Église à cause d’un scénario familial ou culturel. Par manque de meilleur modèle de vie, la presque totalité des couples viennent à l’autel déjà rodées et assaisonnées dans leur vie sexuelle. Notre rôle de prêtre - avec l’assemblée en prière - serait-il de faire semblant que tout commence en ce-moment ici? La plupart des mariages à l’Église ce ne sont que des mises en scène: il faut arrêter ce théâtre. 

 

      Avec le recul on peut bien dire que les Evêques de Trente, pour limiter la puissante logique des intérêts familiaux, ont affaibli le pouvoir des pères de famille et ils ont attribué aux époux la force du consentement, comme s’ils avaient dit: “désormais le mariage est notre affaire, c’est à nous de donner les règles”. Grâce aux Evêques tridentins, de nos jours nous sommes tous convaincus que l’homme et la femme, pour être ensemble, doivent le “consentir”, sans se laisser déterminer par les convenances familiales ou par les usages courants. Maintenant il ne s’agit pas de mettre à jour un protocole: il nous faut une réponse toute nouvelle, qui soit à la hauteur de notre époque, un autre pas gigantesque à donner: le “consentement responsable”. Ce sera le travail des cinq-cent prochaines années.  

 

      Cela veut dire que le moment est venu, pour les Evêques à leur tour, de “lâcher la prise” et de travailler dans une nouvelle direction. Ce qui doit nous préoccuper ce n’est pas l’augmentation des rites civiles et la diminution des rites religieuses, cela appartient à l’ordre des statistiques, le défi n’est pas là. Si la foi manque, il est plus sage de se marier au civil, si le civil a retenu quelque chose de sa valeur.  

 

      Pour les chrétiens le problème est dans la foi, et la foi découle de l’annonce. L’expérience de l’amour humain est la dernière frontière de l’Évangile, trop longtemps réduit à message éthique ou à une forme juridique. Avant de célébrer un sacrement, il est important d’évangéliser le couple, parce que c’est sur ce terrain-ici que le futur du mariage et de la famille chrétienne se construit.      

 

      Avec l’aboutissement d’un “consentement responsable” il y aura finalement plus de paix entre l’homme et la femme, le père et la mère, en famille, en communauté, en société! Au commencement il y était ainsi! De fait, dans le beau milieu d’une polémique avec les pharisiens qui discutaient si le mari avait le droit de répudier sa femme, et ce, même pour des motifs banals, Jésus ramène la question “au commencement”, et cite Genèse 2, 24:  

 

      “Il répondit: ’N’avez-vous pas lu ceci? Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme, et dit: À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas!’ ”  (Math. 19, 4-6) 

 

      Selon la Genèse et ce passage de Mathieu, le mariage est une relation qui existe “avant” toute culture, ou religion, ou lien juridique, “avant” les divers usages et coutumes des peuples, “avant” tout type de famille historiquement déterminée: matriarcale, patriarcale, paysanne, bourgeoise, démocratique … La rencontre entre l’homme et la femme, et leur volonté de s’aimer et de constituer une famille, précède tout système ou ordre de droit. Ainsi l’Église et l’État se doivent de s’incliner devant ce “projet matrimonial” qui les précède et qui est digne d’attention et de soin. 

 

      Au commencement, était le consentement! 

 

      Fin

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