Chemins parcourus par les brebis en recherche de nourriture à travers la montagne.
Salut ! Bienvenue pour marcher à mes côtés sur les sentiers de la Parole de Dieu. Je te propose chaque semaine, au rythme de la liturgie, une réflexion à partir des lectures du dimanche.
Abbé Andrea De Vico
Adepte de trekking, en montagne et ... dans l'âme!
Année B - XVI Ordinaire (Marc 6, 30-34)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Il leur dit: ‘Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu’ ”.
Après les premières semaines de prédication, Jésus est envahi par une foule de gens qui ne le laisse pas tranquille. La première sortie a été un grand succès! Les apôtres reviennent avec un air de triomphe, mais le Maître leur dit: calmez-vous, venez à l’écart, réfléchissez, reposez-vous, apprenez … Jésus ne se laisse pas prendre par la frénésie de l’apostolat. Il intercale ses rencontres avec les gens, avec des moments d’intimité et de prière intense. Pourtant, personne n’aurait pu avoir plus hâte que Lui! Il savait que le temps à sa disposition était très court: trois ans pour annoncer son message, trois jours pour la plus grande tâche qu’on ait jamais réalisée, ce qu’on appelle, avec une métaphore commerciale (il n’y en a pas de meilleure), la rédemption, le rachat des hommes. Il est impressionnant de considérer tout le temps qu’il a consacré à la retraite et à la prière, surtout dans les moments décisifs de sa mission.
Cette propension de Jésus à la prière solitaire a inspiré au long des siècles un mouvement grandiose et sans pareil : des cohortes de moines ermites et cénobites qui, en imitant le Maître, se sont retirés dans le désert pour toute leur vie. Les ermites représentaient entre autres une réaction de dégoût face aux dissipations et aux libertinages de la vie mondaine, raison pour laquelle ils abandonnèrent la ville et cherchèrent la perfection intérieure, la vie unifiée, le bios monotropos, une sorte de vie céleste anticipée. Le premier des grands ermites fut Saint Antoine le Grand, qui vécut en Égypte autour du IV siècle.
Mais parfois, les ermites aboutissaient à des solutions inacceptables, comme celle de Saint Arsène de Scété (IV-V siècle), éducateur de la famille impériale de Théodose. A un moment donné, Arsène fuit les distractions de la vie à la Cour et se rendit aussi en Égypte, dans le désert, avec d’autres moines. Cependant il ne se sentait pas à l’aise avec ceux-ci, il n’aimait pas trop … communiquer avec eux! Quand on lui reprocha d’exagérer, il répondit qu’il ne pouvait pas garder en même temps la compagnie de Dieu et celle des hommes. Il expliqua qu’au-dessus du ciel, il y avait une multitude d’anges et d’esprits célestes qui ne faisait qu’une seule volonté: celle de Dieu, alors qu’ici-bas les hommes suivaient chacun leur propre volonté. Pour atteindre l’unité intérieure, il faut suivre une seule volonté, celle de Dieu. Or chez les hommes il n’y a jamais de paix, parce que chacun cherche une chose différente. La devise d’Arsène était: fuis les hommes, tais-toi et reste tranquille.
Saint Basile (IV siècle) commença avec par une carrière mondaine brillante. Convaincu par sa sœur Macrine, il s’en alla visiter les ermites égyptiens, mais il ne fut pas très enthousiaste. C’étaient des hommes à la vie sévère, sans doute très proches de Dieu, mais cela ne lui suffisait pas. En effet, si selon l’évangile la règle d’or est l’amour fraternel, comment un ermite peut-il aimer ses frères s’il les fuit? De plus, la vie solitaire n’est pas exempte de tromperies de la part des démons, raison pour laquelle la proximité des frères est bien utile pour nous faire comprendre nos erreurs.
En atténuant l’austérité de la vie d’ermite, Basile indiqua une troisième voie: la vie commune ou cénobe, où les frères qui suivaient le même idéal se réunirent, pour entrer dans une vie cénobitique, ou communautaire. Ainsi, l’idéal de la vie unifiée, le bios monotropos, devait passer par la rencontre avec les frères.
Antoine et Basile inspirèrent la vie religieuse d’une manière formidable. La Règle de Saint Basile, bien avant celle de Saint Benoît (V-VIème siècle), a influencé aussi bien l’orient que l’occident. Plus tard viendront les monastères, les ordres, les congrégations religieuses, les instituts de la vie consacrée, et mille autres floraisons, mais la matrice, ou l’exigence, demeure toujours la même: suivre le Christ de plus près.
Et nous? Nous comprenons à peine que le vrai repos est la prière, la seule chose qui puisse reconstituer nos énergies spirituelles. Nous confondons la prière avec l’immobilisme, la passivité, le manque d’initiative, la perte de temps! En réalité, cette maladie s’appelle: activisme. Sous le prétexte des œuvres sociales et caritatives, nous mettons de côté ce qui compte vraiment, la prière, et nous finissons par gâcher tant de temps pour rien. L’été en particulier, est le moment de la diaspora. Au lieu de reprendre nos forces, on finit par les disperser, on se vide spirituellement, on revient de nos vacances plus stressés et plus déprimés qu’avant de partir. C’est absurde. Nous ne jouissons plus de ce que la vie nous offre chaque jour. Nous ne savons même pas voyager. En fait, nous nous déplaçons d’un lieu à l’autre comme si nous étions sur une autoroute. Notre but est de combler la distance entre deux points avec le moins de temps possible. La vie, devenue tentaculaire, nous échappe: nous arrivons de l’autre côté de notre existence sans même nous apercevoir que nous l’avons vécue.
Nous devrions nous rapporter à l’idéal qui a inspiré la vie religieuse: une vie intérieure et extérieure unifiée, un bios monotropos qui consiste à avoir une seule pensée, un seul but dans la vie, et faire en sorte que tout tourne autour de ce but. Cet idéal est accessible à tous: tout disciple du Christ, à la suite du Maître, peut être simultanément un peu ermite, un peu cénobite: il peut se donner la possibilité de vivre aussi bien seul qu’avec les autres.
La vacance de Jésus et des siens a été de très courte durée. Tout juste le temps de traverser le lac, s’arrêter et pêcher du poisson. Les gens sont déjà là: ils ont fait le tour du lac pour le rencontrer sur l’autre rive. Jésus ne se fâche pas comme une star en vacances qui ne supporterait pas le sans-gêne de ses fans. Il s’agit de tout autre chose: “En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement” (v. 34). Nous aussi, prenons un repos bien mérité, mais soyons prêts à suspendre nos vacances et à répondre à une demande urgente de la part de notre prochain !
Amen
Année B - XV Ordinaire (Mc 6, 7-13)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Il appela les Douze; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient”.
Dans l’évangile de ce jour, Jésus envoie ses disciples pour qu’ils l’aident à la prédication. Au début, en les rassemblant, il leur avait dit: venez. Aujourd’hui, l’ordre est: allez. Ce qu’ils ont appris par la bouche du Maître, ils ne peuvent pas le garder pour eux-mêmes. La richesse de l’Évangile est pour tous. Être disciple du Christ comporte le désir de le faire connaître aux autres.
Mais beaucoup de chrétiens n’y pensent pas: ils croient que la tâche de l’évangélisation appartient aux évêques, aux prêtres, aux diacres, aux consacrés … Jésus était-il un évêque, un prêtre, ou faisait-il partie d’une organisation missionnaire? Non: tout commença sur les rives de la mer de Galilée. Jésus se présenta comme un prédicateur itinérant et il y en a eu à toute les époques. Il était un laïc, quelqu’un venu du peuple (laos, en grec). En effet, il n’appartenait pas à la caste sacerdotale, il n’avait pas de fonction à accomplir dans le Temple. Les gens qu’il envoyait étaient aussi des gens du peuple, des hommes de métier, des laïcs comme lui.
L’Islam est une religion qui s’est diffusée rapidement en Afrique, avec des résultats bien plus éclatants que ceux des missionnaires envoyés par la chrétienté. Pourquoi? Comme il est dit que chaque musulman est missionnaire, le commerçant qui transportait ses marchandises du nord au sud du continent, diffusait le Coran lors de son voyage.
L’Europe, avec sa culture et ses lumières, est en train de tourner le dos au Christ. On pense que la religion et la hiérarchie sont des obstacles à surmonter pour instaurer le gouvernement de la raison et de la démocratie. La présence de l’Église est perçue comme encombrante, surtout dans les questions qui concernent le mariage, la famille, la bioéthique. Mais si la chrétienté venait à disparaître en Europe, comme cela s’est passé en Afrique du nord, en Syrie et en Turquie, les lumières de la raison et de la démocratie prendraient-elles sa place? Ou bien est-ce que ce seront les disciples de Mahomet qui, faisant face à l’obscure mécréance du monde occidental, nous rappelleront qu’il y a un Dieu?
Chez les chrétiens, la prise de conscience de la tâche missionnaire s’est réduite au minimum. Ils vont à l’Église comme s’ils avaient un devoir à régler, une taxe à payer. Et puis, ils sont toujours bien occupés: c’est déjà assez s’ils viennent à la messe communier, mais s’il s’agit de s’engager en quelque chose: ils n’ont pas le temps!
En réalité, nous avons rempli nos vies de tant de choses inutiles. Nous sommes disposés à faire n’importe quel sacrifice pour posséder des choses bien vite démodées. Dans nos maisons, nous avons tant d’objets qui ne servent pas vraiment, et tant de temps gâché pour les avoir! Le problème n’est cependant pas dans le manque de temps, parce que Dieu nous a donné tout le temps qu’il faut pour accomplir notre vocation. Le problème est dans l’échelle des valeurs. Chacun devrait être plus honnête envers lui-même et se demander: qu’est-ce qui vaut plus, et qu’est-ce qui vaut moins?
Pour le Pape Jean Paul II, si nous voulons sauvegarder notre patrimoine de foi, science, culture, éducation … les chrétiens que nous disons être doivent se mobiliser dans une nouvelle évangélisation. De nouveaux apôtres pour un nouvel apostolat, à la suite des premiers qui suivirent le Seigneur.
Faire le bien en famille, sans double morale ou double mesure, est déjà une bonne nouvelle, c’est déjà un évangile pour les enfants. En effet, le futur de la Foi se prépare en famille: l’amour, l’éducation, la prière, la solidarité …
Le cadre communautaire suit celui de la famille: tous doivent savoir ce qui se passe en communauté, et s’y engager activement. Le travail que l’on fait en famille et en communauté aboutit au monde professionnel. Entre un geste et un autre il y a toujours une possibilité de communiquer, rencontrer, sympathiser, glisser le bon mot et véhiculer la Bonne Nouvelle! Notre mission reste identique à la toute première mission des apôtres!
Amen
Année B - XIV Ordinaire (Mc 6, 1-6)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“ ‘D’où cela lui vient-il? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous?’ Et ils étaient profondément choqués à son sujet”
Avec sa prédication accablante et les signes impressionnants qui l’accompagnent, Jésus est devenu célèbre, un phénomène qui attire des gens de partout. Une parole qui convertit et guérit instantanément. Cette fois, cependant, de la part de ses concitoyens, pas d’enthousiasme, pas de cris de joie. Ils connaissent déjà ce Jésus, ou ils pensent bien le connaître. Ils savent tout de lui, la famille, le métier, le surnom: Jésus le charpentier, comme quand on dit: maître Jacques, maître Antoine. Jusqu’à ce jour, Jésus a travaillé sous leurs yeux. Maintenant, il se présente comme un prédicateur, un thaumaturge, un guérisseur. Où a-t-il puisé ces compétences? Où a-t-il étudié? Qui lui a appris tout cela? La perplexité de ses concitoyens indique que Jésus n’a pas fréquenté d’école, ni de sectes ou de confréries, même si on lui attribue des similitudes avec la guilde des Esséniens. D’autres légendes apocryphes rapportent que Jésus est allé en Egypte pour étudier les arts magiques. En réalité, rien de tout cela: ses concitoyens, scandalisés par lui, sont la preuve la plus claire que Jésus n’a jamais quitté les lieux d’origine, en dehors de la fréquentation traditionnelle du temple de Jérusalem.
Après un début plein de succès, la prédication de Jésus s’arrête donc juste à Nazareth, sa patrie adoptive, le village où il a grandi et où tout le monde pensait bien le connaître. L’accueil qui lui est réservé est parmi les plus tempétueux: ils murmurent contre lui et, comme l’Évangile de Luc le rapporte, ils essaient même de le tuer, le poussant aux bords du précipice. Qu’a dit Jésus pour soulever une telle fureur chez ses propres concitoyens? Pourtant il a dit des choses déjà connues ailleurs: la prédication du Royaume, l’appel à la conversion et les signes qui l’ont accrédité. Les citoyens devaient penser qu’après tout, Jésus était l’un d’eux: nous le connaissons trop bien. De nombreuses chaises, tables et objets qui se trouvent dans leurs maisons ont été fabriqués par lui. C’est clair: c’est de la jalousie, que de la jalousie. Tant que tu es dans le troupeau, personne ne te dit rien, mais si tu commences à émerger, les autres vont réagir. Si tu veux faire des progrès, tu ne peux pas travailler dans ton village. Si tu veux faire quelque chose de bien, tu dois sortir, émigrer. Le dicton de Jésus en réponse aux gens de son village est devenu un proverbe amer: nul n’est prophète en son pays.
En ouvrant la Genèse et l’Apocalypse, nous voyons que l’envie et l’orgueil étaient à l’origine de tous les désastres ultérieurs. Le péché originel de Lucifer - Ange porteur de lumière - consistait en une vapeur d’orgueil qu’il condensait et couvait, pour l’ouvrir en rébellion ouverte. Lucifer ne pouvait pas supporter de ne pas être lui, Dieu, et il instilla la même pensée en Adam:
“Alors, Dieu vous a vraiment dit: ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin?’ … Pas du tout ! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal” (Gen. 3, 1-5)
Le péché originel, par conséquent, est quelque chose de terriblement actuel et universel, quelque chose qui concerne chaque être humain qui vient dans ce monde, moi d’abord: la revendication de décider par moi-même ce qui est bon et ce qui est mauvais, d’être moi-même la source de ma moralité, de gérer ma vie et ma mort , comme si j’en avais la faculté, etc.
Eh bien: s’il y a une force qui s’oppose à Dieu, il y en a une autre surgit en contrepoids, qui reconnaît l’inaccessibilité de Dieu et confirme ses droits. Cette force, ou plutôt cet Ange qui conteste les prétentions de Lucifer, s’appelle: “Qui est comme Dieu?”, c’est à dire: pour qui te prends-tu? En hébreu: Michael. Pour avoir une idée de ce nom, Michael, il faut penser au tonnerre de sa voix. C’est évident: personne n’est comme Dieu! (Ap 12, 7)
Quelque fois, nous suivons nos envies et nos passions, comme les compatriotes de Jésus qui ne peuvent pas supporter son succès et le bien qu’il fait, parce qu’ils pensent le connaître trop bien. En réalité, ils n’ont jamais compris qui ils avaient à leurs côtés. Par la suite, c’est l’envie de décider de mettre Jésus hors- jeu, comme il le déclare lui-même: “Ils m’ont haï sans raison” (Gv 15, 25). Même Pilate avait remarqué que les Juifs l’avaient livré parce qu’ils étaient jaloux de lui.
Des scribes et des prêtres se moquent de lui sous la croix: “Qu’il descende maintenant de la croix, le Christ, le roi d’Israël ; alors nous verrons et nous croirons” (Mc 15, 32) Ils ont tué Jésus pour montrer qu’il n’était pas le fils Dieu, comme il le prétendait. L’envie est la source secrète de l’incrédulité obstinée qui endurcit le cœur.
Cela se passe aussi entre nous: combien d’envies, combien de jalousies sans raison! Si l’on fait du bien, on nous déteste! Comment une telle chose est-elle possible? Il faut faire attention: si l’on veut faire du bien, il ne faut pas se faire remarquer, pour ne pas provoquer cette étrange colère non motivée.
Pour ma part, si je veux vérifier le niveau de ma vie spirituelle, si je veux découvrir mon penchant pour l’orgueil ou la vérité, je dois me questionner: Suis-je capable de me réjouir du succès des autres? Suis-je satisfait du bien que mon frère a été capable de faire? Puis-je féliciter mon voisin pour les progrès qu’il a réalisés? Si la réponse est oui! tout simplement, cela signifie que je suis dans une logique de vérité. Si, en revanche, la réponse est: oui, mais ... cela signifie que je risque de glisser dans une logique aliénante, de ne plus voir le bien, de raisonner comme les compatriotes de Jésus. Il est clair que face à cet Evangile je dois prendre une décision intime, comme le suggère l’Imitation du Christ, quand il parle de l’humble conscience de soi:
“Ne t’estime pas meilleur que les autres, pour que tu ne sois pas considéré comme pire aux yeux de Dieu, qui sait bien ce qu’il y a en chaque homme. Rien de mal si tu te mets en dessous de tous les autres; très mal si tu te mets au-dessus d’une seule personne au monde. Dans l’humble c’est une paix sans faille; au cœur des orgueilleux, il y a cependant une aspiration et une agitation constantes. Même si tu as vu un autre manifestement tomber dans le péché ou commettre quelque chose de grave, tu ne dois pas te croire mieux que lui; en fait, tu ne sais pas combien de temps tu peux persister dans le bien. Nous sommes tous fragiles, mais tu ne dois considérer personne comme étant plus fragile que toi” (1)
(1) L’Imitation de Jésus Christ, I, 7
Année B - XIII Ordinaire (Mc 5, 21-43)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Il saisit la main de l’enfant, et lui dit: ‘Talitha koum’, ce qui signifie: ‘Jeune fille, je te le dis, lève-toi!’ Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher - elle avait en effet douze ans”
La mort ne respecte personne, et en période de peste, les gens l’imaginaient avec une faux à la main, prête à couper la vie de tous, des vieux comme des jeunes, des malades comme des sains, de l’herbe sèche comme de tendres fleurs de champs. La considération de la mort est austère, mais elle nous fait tellement de bien.
Aujourd’hui, le sujet de la mort est généralement ignoré, on se limite à dire qu’il est un événement naturel et normal qui fait partie du cycle de vie. La vie commence, puis elle finit. Mais une telle pensée ne trouve d’espace que là où la foi est peu ou rien. On finit par dire qu’il n’y a pas de Dieu, ni d’immortalité, ni de vie éternelle. L’essentiel est: profite de la vie et résigne-toi à disparaître. S’il en était vraiment ainsi, l’être humain ne devrait pas ressentir d’angoisse face à la mort. Si l’homme n’était qu’un simple animal, il faudrait qu’il reste indifférent comme un veau devant le pistolet électrique qui l’étourdit, avant d’être réduit en steaks. Mais l’homme sait, le veau non.
Mettons-nous dans la peau d’un père et d’une mère qui ont une fille en fin de vie, ou d’une famille en deuil pour la mort d’un adolescent. Qu’allons-nous dire? Qu’il n’y a pas besoin de se faire du souci, tant ce fait est naturel? Nous ne pouvons pas non plus nous en tirer avec des arguments spirituels bon marché, comme la métaphore de la fleur coupée par Dieu pour être transplantée dans les jardins célestes. Avec de tels arguments, nous ne faisons que de la poésie, et au lieu de consoler les gens, nous finissons par les irriter davantage. Quel genre de Dieu est ce jardinier qui vient emporter les plus belles fleurs de la terre pour le plaisir de les exposer dans son palais céleste? Et alors, que disons-nous? Sincères condoléances? Soyez patients? Ce n’est-ce pas la première fois? Moi aussi j’ai été touché par un deuil comme le vôtre? Dans de tels cas, tout ce que nous allons dire sera toujours un non-sens, mieux vaut ne pas parler, il est mieux de ne rien dire, il est mieux de partager la douleur et de prier.
L’épisode de l’enfant de douze ans que Jésus ramène à la vie est sublime: des choses surhumaines racontées dans les paroles de tous les jours. Jésus ordonne même qu’elle soit nourrie: c’est normal pour une personne qui vient de se remettre d’un danger juste évité. La seule parole qui éclaire dans l’obscurité de la douleur est celle de la Foi. Le miracle tant attendu, qu’il y ait lieu ou non, se résout par un acte de Foi en la personne de Jésus-Christ. Le vrai miracle n’est pas de guérir, mais de croire en lui, de réussir à donner un nouveau sens à la vie.
“Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans … ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement ...”
Douze ans d’hémorragie! À cette époque, on pensait que le sang mort des menstruations rendait impures la femme et la personne qui entrait en contact avec elle. Il y avait des préceptes religieux qui réglementaient également ces questions d’hygiène. Cette femme souffrant de maladie chronique n’avait pas d’autre choix que de vivre une exclusion sociale permanente. Elle entend parler de Jésus et elle se dit: si je touche son vêtement, je serai guérie. Compte tenu de l’opinion publique et de la doctrine de l’époque, elle aurait dû penser: si je touche son vêtement, il deviendra impur. Mais non: si je le touche, je serai purifiée.
Jésus sent le toucher, il fait semblant d’être dérangé et découvre la femme. Pour elle, c’est un moment difficile et dangereux: une personne impure n’a pas le droit d’être entre les gens, tout le monde en serait contaminé. Imaginons la réaction de la foule s’il s’avérait qu’une femme était menstruée ou malade! La punition la plus probable était la lapidation, prescrite par le Lévitique. Mais la femme a le courage d’assumer ce qu’elle a fait et dit la vérité. Dans le dernier cri, “Ma fille, ta foi t’a sauvée”, Jésus reconnaît la Foi de cette femme, sans quoi il n’aurait pas pu faire de miracle.
Nous nous émerveillons de certaines prescriptions religieuses anciennes, mais même aujourd’hui, il existe une quantité démesurée de croyances folles mélangées à des évidences scientifiques. Prenons un cas simple: une femme végétalienne avoue avoir pris par erreur un dessert à base d’œufs. Cette femme, via les réseaux sociaux, est insultée, répudiée et excommuniée par toute une confrérie de végétaliens pacifiques, qui à ce moment semblent plus en colère qu’une secte religieuse.
Prenons un cas plus complexe: celui d’une femme qui, comme la femme de l’Évangile, souffre d’une perte chronique de sang. En faisant une psychanalyse, l’origine du symptôme se concentre autour de la figure d’une mère froide et bourgeoise qui respecte l’étiquette sociale. À l’adolescence, elle avait dit à sa fille qu’elle l’avait conçue alors qu’elle se séparait du mari. Puis, elle a pratiqué quelques tentative d’avortement, sans y réussir. Bref, ce qui était censé être un discours pour encourager sa fille à prendre conscience des transformations de son corps féminin, n’était qu’un prétexte pour lui révéler qu’en effet il n’y avait eu aucune envie d’accueillir sa vie. Le récit maternel prend le caractère d’un jugement. L’absence du désir maternel pousse la fille dans une solitude désespérée, lui soustrayant le droit d’exister. Le sentiment de vie n’est pas transmis, il ne s’installe pas.
Par conséquent, la maladie d’un saignement permanent n’est qu’une réponse qui écrit les mots de sa mère directement sur son corps: la vie est une plaie qui ne cesse de saigner. Dans ce cas, la maladie n’est pas dans la perte de sang, qui n’est qu’un symptôme d’un mal qui s’est manifesté ailleurs: chez une mère algide, ou dans les croyances d’un corps social qui a développé un code préventif et thérapeutique absurde, légitimé par une improbable tradition religieuse. Est-ce la perte de sang qui cause l’exclusion sociale, ou est-ce l’exclusion sociale qui cause la perte de sang?
La page de l’Évangile d’aujourd’hui nous offre une information thérapeutique précieuse: “Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal”. Cette déclaration libère la femme des croyances parasites consolidées, encore aujourd’hui fortement présentes dans la vie réelle comme dans l’internet. Dieu sait combien de personnes nous pourrions guérir avec une simple touche de Foi, ou un mot qui exprime proximité, appréciation, implication!
Amen
Année B - XII Ordinaire (Mc 4, 35-41)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent: ‘Maître, nous sommes perdus; cela ne te fait rien?’ ”
Nous voici face à la mer de Galilée, lieu de la première rencontre qui a changé la vie de cette poignée d’hommes. Là, pour la première fois, Jésus a vu Simon et André, Jacques et Jean, puis tous les autres: des hommes de Galilée! Cette mer (en réalité c’est un lac interne) est connue pour les tempêtes soudaines, en raison du climat et de la forme particulière de la région. Le soir, tout est prêt pour la pêche de nuit, c’est parti. Mais le ciel s’assombrit et des vilains nuages apparaissent derrière les collines, courant rapidement vers le lac. Au début, le vent est haut et l’eau calme, puis la surface commence à onduler. Les pêcheurs sont sur le point de regagner le rivage, mais il est trop tard: le vent contraire est tombé sur l’eau et en quelques minutes le lac en ébullition devient noir comme de l’encre: le bateau est poussé au large. Le Maître, fatigué de ses efforts de prédication, se montre indifférent aux vagues qui giflent la quille: il dort ou, peut-être fait semblant de dormir, de ne pas entendre les voix excitées des pêcheurs experts.
La traversée de la mer de Galilée est une métaphore de notre vie. La mer, c’est l’humanité, ma communauté, ma famille, mon cœur, l’internet: combien de tempêtes soudaines! Des moments sereins alternant avec des épreuves difficiles! Rien ne reste longtemps tranquille et paisible, et il y a toujours quelque chose qui tôt ou tard vient secouer la vie. Il n’arrive pas grand-chose et les équilibres se cassent, on prend l’eau, on se sent lourds, perdus et abandonnés. En effet, un rien suffit à déclencher une tempête: un diagnostic alarmant du médecin, un fils qui prend un mauvais chemin, un souci financier, un ami qui trahit, un amour qui nous quitte ... Comme si cela était fait exprès, au moment où on en a besoin, il semble que le Maître dort, qu’il soit absent, qu’il se fiche de notre sort. Heureusement, cette mer a une limite intrinsèque: il y a un rivage, il y a un palier pour le débarquement, il y a une terre, il y a une patrie qui nous attend. Jésus se fait entendre et dit au vent: arrête! et à la mer: calme-toi, pour dire que nous ne sommes pas seuls dans les tempêtes, que nous pouvons continuer en toute sécurité en tenant la barre de la Foi.
Pourquoi le Maître dort-il, ou fait-il semblant de dormir? Ne savait-il pas que la tempête allait arriver? Bien sûr, qu’il le savait. Mais c’étaient des pêcheurs, des connaisseurs experts de la mer, ils se croyaient sans égal dans les manœuvres à effectuer. Peut-être pensaient-ils que Jésus était un grand Maître avec une parole puissante, mais sur ce bateau, chacun à son propre rôle: le prédicateur se retire et laisse l’expérience s’en occuper. Voici les aveugles spirituels et les sourds spirituels qui risquent de faire naufrage dans la vie en voulant compter sur eux-mêmes, en faisant confiance à leurs propres capacités, comme ces pêcheurs de Galilée. En fait, Jésus aurait pu réagir avec indignation: je vous l’ai dit, je ... je voulais vous aider et vous ne vouliez pas ... maintenant débrouillez-vous! Mais le Maître n’abandonne pas le disciple en difficulté, même s’il est présomptueux.
En fin de compte, Dieu n’empêche pas le mal et permet les tempêtes. S’il commençait à résoudre tous les problèmes, que resterait-il au disciple, sinon à oublier le Maître, et à se croire l’auteur de tout le bien qui est dans le monde? L’homme est comme ça: pour se souvenir qu’il a un Père, il doit faire l’expérience de la douleur. Les tempêtes de la vie nous disent notre néant, elles nous mettent en garde contre nos actes qui causent la souffrance et le deuil! Nous sommes éprouvés parce que nous sommes aimés. Une fois l’épreuve surmontée, nous pouvons atteindre le rivage. Jésus ne dort pas, mais il teste notre confiance. Si nous l’appelons, il vient.
Amen
Année B - XI Ordinaire (Mc 4, 26, 34)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice
“Le règne de Dieu … est comme une graine de moutarde: quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre”
Si nous voulons comprendre le caractère du peuple juif à partir des textes, la première chose qui se démarque est la Théologie de l’Alliance: il y a un Dieu Très-Haut qui choisit l’ancêtre Abraham et établit une alliance avec lui, ne lui demandant pas le sang de son fils, comme les basses divinités des collines le font, mais la Foi: “Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai” (Gn 12, 1).
La création d’Adam et Eve et l’histoire du paradis terrestre n’est qu’une relecture de ce prototype de l’Alliance entre Dieu et Abraham, transféré à la période des origines. On voit bien qu’Adam a enfreint l’Alliance, par conséquent la haie du jardin est détruite, l’espace relationnel est dévasté, l’homme est chassé dehors pour qu’il ne puisse pas faire de pires maux contre lui-même, et il expérimente l’amer chemin de l’expatriation, de l’exil. Pour la suite, l’histoire biblique se répète avec le même modèle: Dieu demande le respect de l’Alliance, mais ce peuple répond avec une réitération inouïe d’infidélité. Malgré tout, Dieu ne cesse pas d’accompagner Israël dans le chemin de l’histoire.
Ainsi, sur la base de l’Alliance, la Théologie du Salut est née, exprimant la volonté divine de réintégrer l’homme dans un processus de Réconciliation. L’intérêt religieux de l’écrivain sacré s’arrête là. Donc il est parfaitement inutile - comme on l’a fait dans les temps modernes - d’aller chercher dans le Écritures des réponses à des questions scientifiques. De plus, nous n’arriverons nulle part si nous insistons dans cette opposition artificielle entre la science et la Foi. Dans les textes, cette ambivalence n’existe même pas. La Foi, l’Alliance, le Salut et la Réconciliation n’ont pas besoin d’un statut scientifique, dans le sens qu’elles ne sont pas des réalités expérimentables, quantifiables, numérisables. Et la science, de son côté, en tant qu’outil, n’a certainement pas besoin d’une religion ou d’une foi pour valider ses méthodes. Toutefois, la science et la Foi peuvent se confronter sur un terrain commun, celui de l’éthique, par exemple, quand il s’agit de donner un sens et un but à certaines recherches ou applications.
Le souci du salut, de la part de Dieu, se voit aussi clairement dans la première lecture d’aujourd’hui: Joachim, le dernier descendant du roi David, à cause des péchés du peuple, a été vaincu et déporté à Babylone par le féroce roi Nabuchodonosor. Tout est perdu, la ville sainte est détruite, le Temple brûlé et l’arche de l’Alliance volée comme butin de guerre. Il n’y a aucun espoir, le cèdre de la dynastie de David a été coupé à la racine. Pourtant, l’un des déportés, Ézéchiel, prêtre du temple, dit que Dieu prendra un germe de l’arbre coupé et le replantera, le faisant repousser. Pour nous chrétiens, ce germe est le Christ, qui ne nous parlera pas d’un Royaume terrestre, mais d’une réalité qui traverse les cœurs.
Dans nos paroisses et nos communautés, nous revivons exactement les mêmes histoires. Partant d’une situation originale utopique, un temps dans lequel tout le monde s’aimait, et où il y avait des prêtres de qualité, nos communautés actuelles ne se comprennent plus, les gens se dispersent, les rangs s’amenuisent, il ne reste qu’un groupe habituel de personnes obligées de remplir les différentes tâches et les mêmes rôles.
Nous avions rencontré le Seigneur et nous l’avions suivi avec enthousiasme, impliqués dans une expérience, une initiative, un chemin de prière ou de formation ... nous étions devenus des catéchistes, des animateurs, des collaborateurs ... puis arrivèrent l’effort de la prière, les difficultés de relation et de collaboration ... enfin la dissociation, la division et la dispersion! L’image de l’Église en sort fragile, vieillie, usée, périmée et même corrompue. Il y a des communautés déçues par leurs pasteurs, et des pasteurs déçus par leurs communautés.
Heureusement, en merveilleuse cohérence avec la Théologie de l’Alliance et la Théologie du Salut, Dieu ne se lasse pas de notre humanité et de ses erreurs, mais continue d’habiter nos faiblesses, il veut que nous soyons soulagés, réconciliés, réintégrés, que chacun - devenu étranger à lui-même et aux autres - revienne de sa situation d’exil!
La parabole de la semence du Royaume offre une nouvelle confiance en ces soi-disant temps de crise. Mais quand le monde n’a-t-il pas été en crise? Si l’adolescent n’entre pas en crise, l’homme et la femme peuvent-ils naître? Si l’Église n’entre pas en crise, le Royaume pourra-t-il se manifester? Si notre communauté n’entre pas en crise, le tamis de Satan peut-il opérer le tri de la Providence?
Lorsque nous nous demandons: que pouvons-nous faire dans cette situation? La bonne réponse est: rien, absolument rien! Si la graine est donnée, il n’y a rien d’autre à faire. Que nous dormions ou que vous veillons, la graine germe et pousse, cela ne dépend pas de nous. Il suffit de semer la graine de la Parole, avec abondance et générosité. Faisons donc notre travail, puis laissons le Seigneur le continuer, c’est lui qui en tirera les bénéfices, grâce également au tamis de Satan, toujours en action dans le monde!
D’ailleurs, pourquoi Jésus nous a-t-il laissé l’Eucharistie, à quoi sert-elle? Pour pouvoir communier et dire que nous sommes de braves gens? Nous avons réduit l’Eucharistie à un beau cadeau gracieux de la part de Jésus qui est satisfait des belles âmes et des enfants sages. Puis, nous avons chosifié l’Eucharistie, comme si c’était un certificat de bonne conduite pour diviser les gens entre ceux qui sont en règle et ceux qui ne le sont pas.
En réalité, si nous accordons la juste attention aux textes, que se passe-t-il pendant la Prière Eucharistique? Voici: dans le cadre de l’Alliance avec son Seigneur, la communauté de prière - que nous sommes tous - déclare à Dieu sa situation d’expatriation, d’exil et de péché, et exprime le désir de se réintégrer dans la Relation. Le moteur de l’Eucharistie, ce qui anime notre prière, n’est pas la conscience de notre justice, mais notre triste situation d’expropriés, d’expatriés et d’exilés, qui nous pousse à demander au Père le don de l’unité, qui fait de nous un seul corps, le corps ecclésial, l’Église du Christ!
L’Eucharistie existe pour cela: c’est un acte qui re-consacre l’Alliance et une éventuelle Réconciliation, là où y a eu une rupture. L’Eucharistie ne peut pas être prise ou laissée, comme de banals sentiments moraux ou individuels, ni être accordée à certains et interdite à d’autres au nom d’un précepte perçu comme discriminant.
L’Eucharistie est beaucoup plus, infiniment plus: c’est une action, un processus, un chemin de la communauté - et de la personne - qui, à partir d’une situation d’exil et de division, tend vers la Réconciliation, le rétablissement de la Relation. Si je me retrouve en situation d’exil, parce que je me suis éloigné de moi ou de l’un de mes proches, tout n’est pas perdu: l’Eucharistie m’offre la certitude que Dieu ne manque pas à la promesse faite au premier homme de Foi qui est apparu sur terre, Abraham!
Amen
Année B - X Ordinaire (Mc 3, 20, 35)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Les appelant près de lui, Jésus leur dit en parabole: ‘Comment Satan peut-il expulser Satan? Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut pas tenir’ ”
Le royaume de Satan n’est qu’une mauvaise copie, qu’une pâle imitation du Royaume de Dieu, mais il est un royaume qui a sa propre unité, sa propre continuité. Satan et ses disciples ont une psychologie commune, ils se manifestent toujours de la même manière. Prenons un témoignage d’une valeur exceptionnelle, publié en 1930, recueilli dans une tribu indienne au Canada (1). Un certain Quesalid ne croyait pas au pouvoir des sorciers ou des chamans. Curieux de découvrir leurs tromperies et de les démasquer, il se met à les fréquenter, jusqu’à ce que l’un d’entre eux lui propose d’intégrer son groupe, après une période d’initiation. Les premières leçons de sorcellerie ont été un mélange de pratiques étranges: faire semblant de s’évanouir, simuler une crise nerveuse, apprendre des chants magiques, des techniques de vomissement, des notions d’obstétrique et d’auscultation, l’utilisation d’espions chargés d’écouter des conversations privées et de les signaler au chaman. Mais l’arme spéciale de l’école chamanique de la côte nord du Pacifique consiste à utiliser un tampon pileux que le pratiquant cache dans un coin de sa bouche pour le recracher au bon moment, après s’être mordu la langue ou laissé du sang sortir de ses gencives pour qu’il présente un aspect ensanglanté, comme preuve solennelle pour le patient d’un corps pathologique expulsé.
Quesalid a vu juste, mais il ne peut plus revenir en arrière, car son stage chez les chamans commence à être connu aussi à l’extérieur, et les malades vont chez lui. Il a aussi quelques succès importants qu’il attribue au fait que “le malade croit au rêve qu’il a fait sur moi” [lire: il croit à ses autosuggestions]. Le système commence à se construire dans la conscience collective. Un illustre chaman du clan voisin, inquiet de la réputation grandissante de Quesalid, l’invite à se mesurer avec lui dans les soins des malades. Mais l’ancien chaman ne connaît pas la technique du tampon sanglant. Il se limite à expectorer quelque crachat, prétendant que c’est la maladie. Il commence donc à désespérer et à voir l’effondrement de son système thérapeutique. Honteux du discrédit dans lequel il est tombé, le vieux chaman demande une rencontre avec Quesalid: “Ami, sauve-moi la vie, ne me fais pas mourir de honte. Pitié, dis-moi ce que c’était dans la paume de ta main. Était-ce une vraie maladie ou un artefact? Dis-moi comment tu as fait, pour que je puisse t’imiter. Aie pitié de moi”.
Quesalid reproche son adversaire la simulation du chamanisme “à cause de la richesse des malades”. La fille du vieil homme le supplie: “aie pitié de lui pour qu’il puisse continuer à vivre”, mais Quesalid reste silencieux. Suite à la tragique conversation, le vieux chaman part en secret, avec sa famille et “avec un cœur malade”. Il est revenu un an plus tard, pris par la folie. Il décède trois ans plus tard.
Dans la psychologie du sorcier (magicien … chaman … guérisseur … gourou …) trois niveaux de représentation peuvent être distingués. Le premier est celui du sorcier lui-même qui, croyant ou non en sa profession, connaît des états psychosomatiques (transe, convulsions, sanglots ...), jusqu’à tomber dans la folie et la mort par le simple fait de n’avoir pas eu la réponse à une question capitale, à savoir si la maladie contenue dans le creux de la main était “réelle ou un artefact”; le deuxième niveau, celui du patient, affecté ou non par une amélioration, selon ses attentes (que le jeune sorcier appelait un rêve); enfin, celle du public, qui participe également aux soins, pour la satisfaction intellectuelle et émotionnelle qu’il en tire. Ces trois éléments, que nous pourrions indiquer sous le nom de complexe chamanique, ou complexe sorcier, sont indissociables.
Cependant, l’expérience du patient représente l’anneau le plus faible du système. En effet, l’intérêt intime du sorcier ne vise pas le bien-être de son client, mais le consentement collectif. Un peu comme dans les chroniques actuelles: lorsque des tricheurs sont découverts et arrêtés, ils ne semblent pas s’inquiéter de la santé des gens qui ont été clairement plagiés et ruinés, mais uniquement de pouvoir sauver la face et la profession. Quesalid n’était pas devenu un grand sorcier parce qu’il guérissait les malades, mais il guérissait les malades parce qu’il était devenu un grand sorcier. L’effondrement du rival âgé s’explique par l’attitude du groupe social, et le changement d’opinion générale, avec l’apparition d’une nouvelle star montante. Le pauvre avait connu la dissolution du consensus social, reconstruit à ses frais autour du jeune pratiquant d’un autre système.
Après tout, un sort fonctionne-t-il? Et l’antidote d’un exorcisme est-il efficace? Bien sûr que oui, mais à condition que l’on y croie. En fait, le premier extraordinaire moteur de recherche pour répondre à des questions similaires est notre nez, notre capacité à sentir les choses. À l’origine, le mot intelligence (nous en grec ancien, nose en anglais) avait à voir avec l’intuition, l’odorat de l’animal, sa capacité naturelle à suivre une piste et trouver la proie. Pour éloigner le mal et la peur des esprits, utiliser l’intelligence est la première forme d’exorcisme. Le problème est que le monde des esprits présente un régime totalitaire basé sur la perversion de la vérité, le vol d’identité, la simulation de la réalité, la mutilation de la personnalité, la tromperie du libre arbitre et ainsi de suite. Donc, quand nous semblons les avoir coincés, les démons se sont déjà terrés ailleurs.
D’un point de vue anthropologique, il n’y a pas beaucoup de différence entre ce qui se passe entre les Zuni du Nouveau-Mexique et ce qui se passe chez nous, même dans les exorcismes et les prières faites à l’Église. Les personnes qui se réunissent en groupes de prière et de libération visent à se remettre d’un malaise ou d’une maladie en recourant au système qui l’a rendue possible. Les personnes qui pensent avoir reçu un maléfice cherchent un fil logique, une chaîne cohérente qui rend compte des événements tragiques qu’ils ont vécus. L’information que le sorcier leur donne qu’un sort ou une malédiction ont été jetés, est la confirmation qu’ils attendaient, la réponse qui leur offre une satisfaction de vérité infiniment plus dense que toute analyse médicale, scientifique ou théologique. Ce type de réponse apporte le sentiment trompeur de pouvoir maîtriser et résoudre le cours des événements. Ces personnes ont un besoin désespéré de croire, mais ce n’est pas de la foi, c’est une foi bâclée.
Mais un sorcier, ce pauvre homme, doit lui aussi se mesurer à sa psychologie, à ses addictions et à ses peurs, car il n’existe qu’en vertu de la renommée qu’il a réussi à se construire, il n’agit que parce que les gens ont décidé d’avoir besoin de lui et de croire en lui. Il n’est même pas possible de démontrer avec certitude dans quelle mesure le sorcier ou la sorcière sont capable d’influencer le monde des esprits, à moins qu’ils ne soient clairement des tricheurs. Eux aussi ont des devoirs envers leur âme: se convertir et se sauver. Si jusqu’à présent ils ont vidé les poches des malheureux en contournant les finances de l’État, ils n’ont pas encore réalisé la dentelle qu’ils devront payer à Belzébuth lui-même, pour avoir exercé la licence des arts magiques.
Enfin (nous en reparlerons), il y a des gens qui manifestent plus ou moins consciemment des qualités singulières (comme le don de guérison), désignées en général par le nom de charismatiques, de médiums, de guérisseurs, etc. Ici aussi il faut être prudent, car si le don est authentique, il peut également se détériorer, comme le vin peut facilement tourner au vinaigre, en raison d’une utilisation incorrecte, imprudente ou inappropriée. S’il s’agit de baptisés, il est toujours bon qu’ils se réfèrent au jugement de l’évêque, le premier à avoir compétence pour le discernement des esprits. Jésus a raison: Satan essaie de construire un monde unitaire et cohérent, mais son unité n’est qu’apparente. C’est un monde qui se construit pour diviser, et ce sera la raison de sa ruine.
(1) Claude Lévi-Strauss, “Antropologia strutturale”, Dai sistemi del linguaggio alle società umane, Il Saggiatore, Milano 1990, 5a rist. ‘05
Année B - Corpus Domini (Mc 14, 12-16; 22-26)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice
“Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit: ‘Prenez, ceci est mon corps’ ”
L’hymne classique Adoro te devote chante: “Jesu, quem velatum nunc aspicio, oro fiat illud, quod tam sitio: ut, te revelata cernens facie, visu sim beatus tuæ gloriæ” “Jésus, que sous un voile, à présent, je regarde, je t’en prie, que se réalise ce dont j’ai tant soif, te contempler, la face dévoilée, que je sois bienheureux, à la vue de ta Gloire”. À remarquer les mots-clés: velatum / revelata. Avec l’Eucharistie, nous nous trouvons devant quelque chose de voilé, destiné à être révélé. Qu’est-ce que révéler, sinon enlever le voile? Quel est ce voile de pain, de chair?
Dans l’antiquité lointaine, il y avait une déesse voilée, représentée par une célèbre statue du temple grec d’Ephèse, l’une des sept merveilles du monde. La déesse était Artemis, Isis pour les Égyptiens, Diane pour les Romains. Les modernes l’identifient sous le terme de Nature. L’idole d’Artémis était “de bois noir, recouvert de bijoux, avec la partie inférieure du corps enfermée dans une gaine serrée: une figure énigmatique et curieuse, qui émerge directement de la préhistoire” (1). Grâce au témoignage de Plutarque, nous savons qu’il y avait une inscription qui accompagnait la statue: “Aucun mortel n’a jamais soulevé mon voile”. Dans les musées du Vatican, nous avons une copie romaine de la statue éphésienne d’Artémis avec de nombreux seins qui nourrit tous les êtres vivants. Avec l’avènement du christianisme, les images d’Artémis ont été minées par une concurrente d’extraction populaire: la vierge Marie. En fait, le premier dogme marial de Mère de Dieu a été proclamé à Éphèse, en 431.
Il y a une discontinuité entre l’ancien culte païen et les nouveaux usages chrétiens, mais il y a aussi des analogies. Si dans la procession d’une fête populaire, au lieu de Notre Dame de la Visitation, on mettait Proserpine, ou à la place de Saint Antoine on mettait Apollon, cela ne changerait pas grand-chose. Nous ferions les mêmes choses avec les mêmes intentions, rien de mal. Le point de rupture est ailleurs: dans les récits bibliques et dans la Foi chrétienne, la déesse Nature perd ses attributs divins. Le Soleil n’est plus un dieu, mais une simple boule de feu qui donne la lumière du jour; la Nature n’est plus une déesse, mais une simple créature, et elle n’a pas de voile (c’est à dire qu’elle n’est pas sacrée, elle n’est pas divine). En effet, dans le discours chrétien, la Nature est elle-même un voile, qui, une fois soulevé, laisse apparaître le visage de Celui qui l’a créée. La Nature existe grâce à un acte créateur. Lorsque dans notre langue nous utilisons des expressions comme: la vérité nue, nous exprimons cette même idée de révélation.
Des expériences psychologiques ont été menées sur les plages fréquentées par les nudistes. On a remarqué ce qu’on savait déjà: les corps nus, en l’absence de ... supports textiles, sont moins intéressants. Cela vaut également pour la publicité: un corps nu, n’a aucune valeur commerciale. En effet, un corps nu n’offre aucune information sur le statut ou la culture d’une Vénus qui se promène ou d’un Adonis de passage.
En revanche, en présence d’une nudité intégrale, la psyché elle-même élabore spontanément un autre code de pudeur, mesurant la direction, l’intensité et la durée des regards, pas forcément coupables ou culpabilisants. Mais, dès qu’un corps se présente avec la décoration d’un voile ou d’un jupon, l’imagination s’éveille, le panorama devient plus intéressant, les stratégies de séduction et de conquête sont remises en mouvement. Le voile a donc une double fonction: celle de cacher, et celle de montrer, en même temps, l’Eros, la Nature et la Divinité, éveillant l’appétit, l’élan et le désir.
Mais tous ne sont pas dignes, ou n’ont pas le titre nécessaire, ou une délicatesse suffisante, pour soulever ce voile. Dans le cas d’un mariage, cette opération revient au marié, et rien qu’à lui, c’est évident. C’est à lui de soulever le voile de l’épouse. Dans le cas de la Nature, si on force la main, par exemple avec la torture des expériences nucléaires ou génétiques, on produit quelque chose d’artificiel et de mortel, qui met en danger la vie humaine elle-même. La Nature violée se retourne contre son agresseur, il suffit de regarder les catastrophes et les inondations déclenchées par le changement climatique. Seul un regard altruiste et limpide peut ôter le voile sans faire de dégâts, et découvrir les grâces d’une femme, ou les secrets de la Nature, ou les mystères divins (en fait on est train de parler de la même chose).
Un médiéval anonyme raconte le rêve d’un sage qui, dans la forêt, se voit pourchassé par des bêtes féroces qui le poussent à chercher asile dans la maison isolée d’une jeune fille - nue - qui lui reproche: “Va-t’en, et n’offense pas ma pudeur. Pourquoi me traites-tu comme une prostituée?” La jeune fille était la Nature, qui reprochait au sage d’avoir mis ses secrets dans la rue. Cela signifie que l’on ne peut parler de la Nature qu’en la voilant, c’est-à-dire sous une forme mythique et religieuse. Le sage ne doit pas révéler le sens du mythe aux non-initiés, c’est-à-dire qu’il ne doit pas arracher ses vêtements et ses formes à la Nature (2). Bacon tire son modèle d’un traité médical du 5ème siècle av. J.C, où il est dit que le thérapeute doit exercer une certaine violence sur la Nature, pour qu’elle révèle ce qu’elle cache: “quand la Nature refuse de révéler les signes [cliniques], l’art [médicale] nous offre des outils de contrainte avec lesquels la Nature, violée sans préjudice, les laisse s’échapper, révélant ce qu’il faut faire”. Faire de la violence, oui, mais sans préjudice, car le premier devoir du médecin est de ne pas de nuire (3). Primum: non nocere!
Dans le discours nocturne entre Jésus et Nicodème, on parlait plus ou moins de cela, d’une renaissance d’en haut, c’est-à-dire d’une nouvelle naissance, d’une nouvelle manière de comprendre le besoin de la Nature. Non pas dans le sens d’un retour aux origines, comme l’objecte naïvement Nicodème, puisqu’un homme âgé ne peut plus entrer dans le sein de sa mère et renaître, mais dans le sens de l’accomplissement de ce que nous avons été appelés à devenir, avec la vie ressuscitée. Cela arrivera le jour de la révélation, celui de notre mort personnelle, quand cette chair se dissoudra.
L’Eucharistie, mystère de la Foi par excellence, est un voile de pain, une petite mesure mais avec une force gigantesque, capable d’effacer les péchés et de transmettre cette vie nouvelle, la vie ressuscitée! Il est incroyable de voir à quel point de grandes choses et des événements décisifs dépendent de mesures extrêmement petites. Dans un championnat de Formule 1, trois millisecondes suffisent pour faire la différence entre une victoire stupide et une défaite honorable, et déplacer un immense flux d’argent dans un sens plutôt que dans un autre. Dans le monde végétal, un chêne majestueux a eu son origine dans une graine qu’on ne voyait même pas. Toute l’histoire d’un homme, unique et irremplaçable, repose sur un embryon qui a trouvé des conditions favorables à la vie et un accueil affectueux de la part des parents.
Ainsi il en est pour la vie destinée à la résurrection: tout se décide à partir d’un peu d’eau, une goutte d’huile, un morceau de pain, une gorgée de vin ... Les sacrements sont matériellement petits, modestes, mais ils ont le pouvoir de l’embryon, la capacité de transmettre la vie divine! Dans l’Église ancienne, au moment de la communion, le diacre avertit: “Celui qui est saint peut s’approcher, qui ne l’est pas, qu’il se repente!” C’est une question de dignité. Je ne peux pas aborder l’Eucharistie avec le cœur en émoi et gonflé d’une passion nourrie de manière coupable. Sous un voile de pain, l’humanité! Et sous le voile de la chair que nous sommes, la divinité!
1) Cf. Pierre Hadot, “Il velo di Iside”, Storia dell’idea di natura, Einaudi, Torino 2006, prefaz. pag. XV
2) ib, p. 60
3) ib, p. 90, 91
Année B - Dimanche après Pentecôte, Sainte Trinité (Mt 28, 16-20)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Allez! De toutes les nations faites des disciples: baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé”
La philosophie chrétienne, dans le sillage des anciens philosophes païens, affirme que la volonté humaine a pour objet le Bien. Pour atteindre le Bien, la volonté a besoin d’un propulseur extraordinaire: l’amour. En amour, les sujets impliqués sont ... trois: l’amant, l’aimé, et l’amour qui les unit. Ainsi la vie intime de Dieu: le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Les relations trinitaires nous disent que Dieu est famille, nous utilisons donc la belle expression de la Famille Trinitaire. En effet, dans l’Évangile, le Père témoigne en faveur du Fils: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé: écoutez-le!”; l’Esprit nous apprend à dire: “Abbà, Père!”; le Fils nous donne son Esprit. Chacune des trois personnes ne parle pas d’elle-même, mais se réfère à l’autre, dans un mouvement que les anciens Pères appelaient: périchorèse, traduisible par: rotation, échange, faisant allusion à une sortie intime de soi-même - de sa propre demeure (kora) - pour aller à la rencontre de l’autre, chez l’autre ou dans l’environnement vital (kora) de l’autre.
Dans la religion préhistorique, méditerranéenne et matriarcale, l’image de la déesse-mère Terre (Gaia) s’imposait, divinité suprême aux mille seins qui nourrissait les nombreux êtres de la nature. Puis vinrent des vagues de peuples indo-européens, patrilinéaires et guerriers, qui honoraient des divinités masculines, dirigées par un dieu-père qui légitimait la constitution patriarcale. Jupiter, par exemple, était l’un d’eux. Les anciennes divinités étaient marquées par des connotations sexuelles, et la génération des dieux se faisait par des moyens sexuels, comme dans le consortium humain. Voir par exemple la Théogonie d’Hésiode, où l’on retrouve entre autres le dieu Cronos qui déchire les organes génitaux de son père, Uranus. En fait, le Temps qui passe destine à la mort ce que le Ciel (Uranus) et la Terre (Gaia) - s’unissant - avaient engendré à la vie.
Dans le discours sur la Trinité, Dieu n’a certainement pas besoin de se reproduire ou de s’auto-reproduire, il n’est pas sexué, il n’a pas les mille seins de la déesse Nature, il n’a pas la barbe de Jupiter, il n’est ni masculin ni féminin. Ces sont nous les hommes qui, quand nous parlons de Lui, utilisons des connotations attribuables à la dualité sexuelle. Même ses plus grands attributs, sa toute-puissance et sa miséricorde, font clairement allusion à l’autorité du patriarche et aux sentiments maternels. Le mot latin miséricorde traduit le terme hébreu rahanim, qui signifie utérus. Dire que Dieu est miséricordieux, cela signifie qu’il a les sentiments d’une mère!
Dans la profession de Foi, nous affirmons que le Fils est engendré, non pas créé. La communication intime de la vie divine a lieu dans la génération du verbe, et non dans la génération sexuelle, comme le disent les religions naturalistes.
La théologie de la Trinité, essayant de comprendre le type de relation entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, surmontant des controverses gigantesques, a élaboré le concept de personne, que nous utilisons aujourd’hui dans les domaines les plus disparates de la culture. Le nouveau terme persona a été utilisé pour distinguer l’homme des autres êtres en général. L’homme a été pensé comme un être personnel, c’est-à-dire comme quelqu’un qui se tient devant les autres (pros-opon, πρόσ-ωπον), quelqu’un qui est en relation avec les autres.
Ainsi, dans les relations personnelles, la périchorèse d’une véritable amitié n’a aucun intérêt, ce n’est pas quelque chose qui peut se traduire en argent, en sexe ou en un pacte d’entraide. Les vrais amis sont plus amis qu’un homme et une femme, plus qu’un mari et son épouse, plus qu’un partenariat de n’importe quelle nature. Le sexe (sexum de secatum, divisé) est un principe de division, donc si tu veux vraiment être à l’aise avec les autres, tu dois également apprendre à t’en passer.
C’est le cas des belles communautés qui vivent les vœux religieux dans l’amitié solidaire, nous donnant un goût, un pressentiment, une anticipation du monde à venir: la vie trinitaire. En fait cette périchorèse, cette communication intime, cet échange personnel, cette transmission de la vie, cette inhabitation de l’un dans les pensées (logoi) de l’autre est une possibilité réelle, est une aspiration légitime, mais c’est de l’à venir, ce sera un don de l’autre monde, d’un monde engendré par le verbe, et non par le sexe.
Amen
Année B - Pentecôte (Jn 15, 26-27; 16, 12-15)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient: ‘Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle?’ ” (At 2, 6-8)
Dans le récit biblique (première lecture la veille), “Toute la terre avait alors la même langue et les mêmes mots” (Gn 11, 1). Tout le monde se comprend, se parle, fait du commerce, prospère, grandit. À un certain moment, cependant, renforcés par leur succès, les hommes ont voulu se faire un nom, aujourd’hui on dirait une marque, un brand, défiant la grandeur divine, construisant une Trump Tower qui devrait atteindre le ciel, pour gravir les airs et devenir eux-mêmes des divinités. Mais le Seigneur a confondu leurs plans, au point que les hommes ne se comprenaient plus, ils se disputaient et se dispersaient. La tour de Babel, inachevée comme le squelette d’un ouvrage public jamais entré en fonction, est devenue un symbole de confusion et de dispersion. Lorsque les hommes s’efforcent de construire un monde à la mesure de leurs ambitions, leurs projets échouent.
La confusion qui en résulte n’est pas fruit de la méchanceté d’un dieu sadique qui mortifie l’homme, mais c’est une barrière pour les empêcher de se faire du mal à nouveau, c’est une leçon donnée à leur orgueil. En fait, la confusion a toujours été le prix des orgueilleux. Et pour voir l’incomplétude d’un tel travail, il n’est pas nécessaire d’aller en Mésopotamie: partout dans le monde, là où la corruption se manifeste, il y en a des milliers. Cela arrive aussi dans mon histoire personnelle: quand mon ego s’élève comme une tour pour s’imposer aux autres, je m’en sort confus, dissocié, éclaboussé, incomplet, déprimé.
Dans le récit des Actes (première lecture du jour), cet état de confusion est surmonté le cinquantième jour de Pâques, à la Pentecôte, en fait. Voici le contraire de Babel: il y a des foules de gens qui parlent différentes langues mais qui veulent dire le même message! Pris par l’Esprit Saint, les hommes ne penseront plus à se faire un nom, soumis à une volonté de puissance qui finirait par les confondre, mais ne rendront gloire qu’au nom de Dieu, reconnaissant l’ordre de la création - et non de la production - à la base de cohabitation civile.
Ézéchiel (première lecture alternative de la veille) se retrouve dans une plaine d’os desséchés, un endroit qui représente bien la triste situation d’Israël à Babylone. Un peuple en exil est comme un peuple de squelettes. Un cadavre dépouillé par les vers n’entend pas, il ne voit pas, il n’aime pas. Cette vallée de squelettes suggère un monde sans communication, sans amour, sans relation. Joël (autre première lecture alternative de la veille) prophétise un avenir dans lequel les gens, pour se comprendre, n’auront plus besoin ni d’une voix, ni d’une langue, ni d’autres outils technologiques, car dans leur cœur il y aura le même Esprit du Seigneur!
Nous vivons à une époque de soi-disant communication de masse, mais la plupart du temps, ce n’est qu’une masse de communications. La véritable amitié se confond avec les relations superficielles. Il y a une tendance à rassembler un tas de nouveaux amis sur le net pour se montrer socialement plus intéressant et publicitairement attractif: pour se faire un nom! Le monde du web, dans le film gnostique The Matrix, est représenté par une pluie infinie de lettres vertes (la couleur des cadavres qui suintent) qui ouvrent des gouffres et creusent des vallées, formant les plaines surréalistes de non-communication vues par Ézéchiel. Ce réseau qui était censé connecter les gens a fini par les isoler.
Quelques décennies en arrière, à la fin des années ’50, à peine inventée, on a salué avec enthousiasme la Tv telle que fenêtre ouverte sur le monde. Dans les années ’80, la même Tv devint une mauvaise maîtresse pour les enfants, qui pour la première fois, de manière visuelle, apprirent la pire chose qui existe au monde: la violence. De nos jours, on pouvait le deviner, avec ses deux cent mille canaux, la Tv est devenue un récipient vide. De nouvelles formes d’aliénation, de confusion, voient le jour, une nouvelle Babylone qui écrase le vrai professionnalisme et promeut des personnages absurdes et inconsistants.
On a constaté cela dans la crise sanitaire que nous traversons encore. Les présentateurs de télévision ont invité des spécialistes de premier plan à parler de la pandémie, tout en sollicitant des réponses sensationnelles, propres à satisfaire leur public. Mais les vrais professionnels, par amour de la vérité, répondaient parfois: je ne sais pas. En effet, la science médicale n’a pas toutes les réponses. Eh bien: ceux qui parfois ont honnêtement dit: je ne sais pas, n’étaient certainement pas invités une deuxième fois à la même émission. Ainsi le champ a été laissé libre aux bâtisseurs de fausses nouvelles, aux charlatans sans vergogne, aux ineffables théoriciens du complot. Comme toujours dans ces cas, la parole de la sagesse est réduite au silence, tandis que les paroles des stupides trouvent toutes sortes de spectateurs suspendus à leurs lèvres.
Certes, les nouveaux outils technologiques ont un grand potentiel, ils sont “un vrai don pour l’humanité” (Pape Benoît XIV). Ils sont une extension du langage humain, à utiliser avec réalisme et confiance. Le désir de communication et d’amitié fait partie de nous, c’est quelque chose qui répond à l’appel de Dieu, qui veut faire des hommes une seule famille. Nous devons simplement faire attention à ne pas aplatir l’expérience de l’amitié, en la réduisant à une représentation bidimensionnelle, au détriment de la profondeur de la véritable amitié. Tout dépend de l’usage que nous en faisons, et de ce qui sort de notre langue, qui est alors le premier outil de communication, non pas de masse, mais personnel. Un moyen reste toujours un moyen, l’important est qu’il ne devienne pas une fin, ou un slogan commercial. La personne doit rester au centre de tout. La vraie relation, la vraie communication, vient de l’Esprit.
D’où mon engagement prophétique: rappeler la puissance de l’Esprit Saint dans mon cœur, donner plus de vie là où il n’y en a besoin, dans les dispositifs médiatiques comme dans les vraies relations! Je ne dois pas me limiter à l’utopie du monde à venir, mais je dois le construire maintenant, ce monde, en m’entraînant à communiquer avec les autres, dans l’Esprit! Si je fais de la place à l’Esprit de Jésus, il me guidera vers toute vérité, et mon moi deviendra un carrefour et une chaîne de solidarité et de relations constructives!
Amen
Année B - VII Dimanche de Pâques (Jn 17, 11b-18) (où l’Ascension vient le jeudi)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes”
On peut voir l’extraordinaire relation entre Jésus et ses disciples dès le début de sa vie publique, quand il choisit les pêcheurs sur les rives de la mer de Galilée: “Maître, où demeures-tu?” “Venez, et vous verrez” (Jn 1, 38-39). En l’observant extérieurement, Jésus avait tout l’air d’un prédicateur itinérant, comme il y en avait tant à cette époque. Ce n’est pas que Jésus appartenait à la caste sacerdotale, ce n’est pas qu’il avait des devoirs sacrés à accomplir dans le Temple. Tout ce qu’il a fait au cours des trois années de sa vie publique, il l’a fait comme - nous dirions aujourd’hui - laïque, c’est-à-dire comme l’un du peuple (en grec laos).
Dans cette page de l’Évangile le drame approche, mais il y a une grande nouveauté. Après avoir dit des discours d’adieu (Jn 13; 16), dans lesquels il y a des tons confidentiels et vibrants, Jésus prononce une prière adressée au Père, impliquant ses disciples (Jn 17). Ici, nous pouvons apercevoir l’âme profonde de Jésus, la conscience qu’il a de sa mission. Dans ce passage imperceptible des discours d’adieu à la prière adressée au Père, un élément absolument nouveau émerge. Il s’agit de la médiation de Jésus entre les disciples et le Père; parmi ceux qui croiront en lui pour leur parole, et le Père; entre le monde et le Père. Il semble que Jésus se débarrasse des vêtements usuels portés jusqu’à présent et revêt un nouvel habit, un habit sacerdotal extraordinairement étonnant.
En fait, cette prière s’inscrit dans le contexte de la fête juive de l’Expiation, le Yom Kippour. C’est le jour le plus solennel de l’année, lorsque le Grand Prêtre fait l’expiation (ou le repentir des péchés) d’abord pour lui-même, puis pour la classe sacerdotale, et enfin pour le peuple tout entier. Du point de vue littéraire, la prière de Jésus reprend la structure du Yom Kippour, avec des points de rupture évidents. Comme la dernière Cène de Jésus doit être placée sur l’arrière-plan de la Cène de la Pâque juive, de la même manière, la prière que Jésus adresse au Père est compréhensible dans le contexte du Yom Kippour. Laissant de côté une myriade de détails … techniques, allons droit au but, et choisissons six points. Il semble que tout se déroule sous nos yeux.
Premièrement: “Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe” (Jn 17, 5). En demandant cette glorification (qui coïncidera avec la levée de la croix), Jésus déclare sa volonté de donner sa vie. Il se présente donc vraiment, comme le nouveau Grand Prêtre, auteur d’une nouvelle offrande.
Deuxièmement: “J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole” (Jn 17, 6). Ayant manifesté le nom du Père aux disciples qui lui ont été confiés, maintenant Jésus intercède en leur faveur. En fait, ce seront eux qui continueront son œuvre de manifestation du nom du Père.
Troisièmement: “Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde” (Jn 17, 16). Le mot monde, dans cette prière, apparaît plus d’une douzaine de fois. Il semblerait que Jésus est incapable d’exprimer la relation avec le Père, ni avec les disciples, sans utiliser la figure du monde. C’est un mot qui étonne: parfois, le monde apparaît comme l’ensemble des forces hostiles à combattre et à éviter; à d’autres moments, le salut du monde est le but de la mission de Jésus et ses disciples. Ils sont différents du monde, mais ils doivent être dans le monde. Mais le monde les rejette parce qu’il les perçoit comme une menace. D’où le paradoxe de la vie chrétienne, qui consiste non pas à condamner le monde, mais à l’aimer. Le disciple doit aimer le monde, alors que le monde ne s’aime pas vraiment lui-même, ses relations sont souvent égoïstes et destructrices.
Quatrièmement: “Sanctifie-les dans la vérité (…) Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité” (Jn 17, 17-19). Dans la langue rituelle hébraïque, les mots consécration et sanctification indiquent des prérogatives divines. La personne ou la chose qui est consacrée ou sanctifiée est soustraite du temps ou de l’usage profane pour être transférée dans la sphère divine et devenir la propriété de Dieu à meilleur titre qu’une essence naturelle ou surnaturelle. Dans ce verset également, le registre sacerdotal est évident. En effet, étant consacrés, les disciples n’appartiennent plus à eux-mêmes, mais existent pour Dieu, pour les autres. Leur existence est une existence donnée, tout comme celle de Jésus.
Cinquièmement: “Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi” (Jn 17, 20). L’Église est née ici, dans la prière de Jésus, elle existe pour continuer sa mission: le salut du monde et la connaissance du Père. Le regard de Jésus embrasse tous les horizons possibles: tous les hommes de tous les temps sont destinataires de son message.
Sixièmement: “Moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé” (Jn 17, 23). Jésus prie pour l’unité future de son Église, donc aussi pour nous, qui malheureusement, nous présentons au monde scandaleusement divisés. Si le don de l’unité est le fruit de la prière de Jésus, nos divisions nous viennent parce que nous nous concentrons sur une Église mondaine, puissante, triomphante, riche, influente ...
La tradition chrétienne appellera cette partie de l’Évangile: Prière sacerdotale de Jésus. Il s’apprête à inaugurer un nouvel autel, un nouveau sacerdoce, une nouvelle dynamique sacrificielle. La liturgie de l’Église dira que Jésus est à la fois l’autel, le prêtre et la victime (Préface Pascal V). Non plus l’autel du Temple de Jérusalem, mais sa personne. Non plus le sacerdoce d’Aaron ou de Lévi, centré sur l’extériorité des victimes sacrificielles, mais un sacerdoce qui implique le don de soi. Non plus les animaux abattus et sacrifiés par les prêtres, dans le rôle de bouchers experts, mais son corps, son sang, sa vie.
L’auteur de la lettre aux Hébreux, pour accréditer ce nouveau sacerdoce et rassurer les adeptes de Jésus venant du judaïsme, si liés à la tradition, utilise l’extraordinaire figure d’un prêtre “païen”, nommé Melchisédek. On se souvient de ce prêtre du Dieu Très-Haut dans les Écritures pour avoir reçu la soumission et l’hommage du patriarche Abraham, deux mille ans avant le Christ, bien avant l’institution du sacerdoce d’Aaron et de Lévi. Celui de Melchisédek était un cas unique, dans le contexte sacrificiel de l’Orient ancien, profondément marqué par les rituels, les pactes et les alliances de sang. En fait, Melchisédek s’est tourné vers le Dieu de l’univers pour lui offrir du pain et du vin, une offrande qui tomberait à pic même dans le contexte actuel de l’écologie et de l’animalisme. Le nouveau sacerdoce de Jésus est donc la reprise d’un ancien sacerdoce basé sur l’offrande du pain et du vin. En fait, ce qui constitue le sacerdoce, c’est l’offrande: le prêtre existe pour offrir (et non pour ... recueillir des offrandes, comme il arrive parfois de le voir!)
La grande prière sacerdotale de Jésus doit aussi résonner dans notre petite prière personnelle. Nous aussi, nous pouvons demander au Père les mêmes choses demandées par Jésus: qu’il nous permette d’entrer pleinement dans le plan qu’il a pour nous, que nous soyons vraiment consacrés à sa volonté de salut, que nous lui appartenions d’une manière toujours plus exclusive, dans l’estime et dans l’amour que nous devons apporter aux autres. Cette réalité s’appelle le sacerdoce baptismal: notre vie exprime l’action du seul Prêtre et Médiateur!
Amen
Année B - Ascension (At 1, 1-11)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel”
Jésus nous a appris à prier: “Notre Père, qui es aux cieux …” Dans le Credo, nous disons que Jésus “ … est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père …” Qu’est-ce que ce ciel, ce monter aux cieux, ce nuage, cette droite? Un conte de fées, un mythe, un dicton, un vrai lieu? En fait, la cosmologie antique divisait le monde en trois parties: le ciel, siège des divinités et des êtres célestes; la terre, où les hommes mènent leurs affaires; et le monde souterrain, royaume des divinités mortes et chthoniennes, infernales.
Avec l’avènement de la science moderne, ce modèle a disparu et nous avons découvert que le ciel n’est qu’un espace dans lequel la terre et le soleil, la voie lactée et des milliards d’autres étoiles et galaxies se déplacent. De plus, en dehors de l’atmosphère terrestre, toutes les représentations spatiales n’ont plus de sens: il n’y a ni haut ni bas, ni droite ni gauche, ni en-dessus ni en-dessous. Où sont les anges, où sont les morts, où est Dieu?
L’un des plus grands scientifiques de notre temps explique le paradoxe des représentations du monde. Il présente une conférence dans laquelle il a parlé de la rotation de la terre autour du soleil, et de la rotation du soleil autour du centre de cet immense rassemblement d’étoiles constitué par la Voie Lactée. Une dame âgée, du fond de la salle, s’est levée pour protester: “Tout ce que vous racontez ne sont que des histoires. Le monde est plat et repose sur la carapace d’une tortue géante”. Le scientifique répond: “Et où repose la tortue?” Et la dame de répondre: “Jeune homme, vous êtes très perspicace. Sur une autre tortue plus bas, non?” La vieille femme considérait l’univers comme une tour infinie faite de gigantesques carapaces de tortues empilées les unes sur les autres. Pour elle, cela était évident (1). Notre scientifique, qui est aussi athée, observe que les hommes, pour répondre aux questions relatives à l’univers, adoptent des représentations du monde:
“Tout comme une tour sans fin de tortues soutenant la terre plate est l’une de ces représentations, la théorie des super-cordes [parmi les dernières théories scientifiques formulées aujourd'hui] en est une autre. Les deux sont des théories de l’univers, bien que cette dernière soit plus mathématique et plus précise que la précédente. Les deux manquent de preuves d’observation: personne n’a jamais vu une tortue géante avec la terre sur le dos, et en même temps personne n'a jamais vu une super-corde ... si jamais nous découvrions une théorie complète, cela devrait un jour être compréhensible pour tout le monde, dans ses grandes lignes, et non par une poignée de scientifiques seulement. Ensuite, tout le monde, philosophes, scientifiques et même les gens ordinaires, aurait la possibilité de prendre part à la discussion pour découvrir pourquoi l’univers existe et pourquoi nous existons. Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine, et à ce moment, nous connaîtrons la pensée de Dieu” (2)
Dans le film Contact, une petite fille cherche un signe de vie intelligente dans l’univers. Elle a perdu sa mère à la naissance, et à neuf ans, elle se demande s’il est possible de communiquer avec elle. Le père dit non, même avec la radio la plus puissante. La question est reformulée: sommes-nous seuls dans l’univers? Si oui, quel gâchis d’espace! Son père meurt aussi, elle le cherche en regardant dans la même direction, mais le ciel reste silencieux. Plus tard, la jeune fille devient une scientifique brillante, mais son objectif reste le même: découvrir un signe de présence intelligente dans l’univers. Après des années de recherche, elle parvient à capter un signal de l’étoile Vega, contenant le projet de construction d’une navette spatiale, qui la place dans un espace inconnu.
Elle réalise ainsi le rêve de sa vie: établir le contact avec une autre intelligence, qui apparaît sur cette étoile sous les traits de la personne la plus proche d’elle: son père décédé. Et celui-ci se trouve dans le paysage fantastique de son enfance, la plage de Pensacola. Elle est consciente qu’elle vit une expérience reconstruite par une intelligence extraterrestre, qui parvient ainsi à entrer en communication avec elle. Cet être intelligent venu d’autres mondes, après l’avoir sondée dans ses pensées les plus intimes, exprime son idée de l’humanité:
“Vous êtes une espèce intéressante, un mélange intéressant, vous êtes capables de faire de si beaux rêves et de si horribles cauchemars … Vous vous sentez si perdus, si isolés et si seuls, mais vous ne l’êtes pas. Tu vois, dans toutes nos recherches, la seule chose que nous avons trouvée qui rend la vie supportable, c’est l’autre” (3)
L’effet est sublime. La scientifique qui dès son enfance se questionne sur d’autres mondes habités et sur d’autres êtres intelligents, au moment de la rencontre, est renvoyée sur terre, là d’où elle était venue, avec l’invitation à chercher dans l’autre être humain, son semblable, ce qu’elle recherchait ailleurs, dans le ciel.
Il nous semble voir le même avertissement dans les paroles que l’ange adresse aux apôtres, une sorte de reproche voilé: ne restez pas là, regarder le ciel le nez en l’air! Allez, continuez sa mission, portez son évangile, améliorez la terre, dans l’attente de son retour! Cela signifie que nous devons vivre le moment présent, là où nous avons une tâche à accomplir, et travailler pour l’avènement du Royaume. Aussi longue que l’attente puisse sembler, le temps est si court!
(1) Cf. Stephen Hawking, “Une brève histoire du temps”, Flammarion 1989, pag. 13
(2) Ivi, pp. 205; 210
(3) “Contact”, 1997 Warner Bros, 1.59.00
Année B - VI Dimanche de Pâques (Jn 15, 9-17)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés … Mon commandement, le voici: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”
Il y a beaucoup de malentendus sur l’amour, il n’y a pas de mot plus utilisé abusivement que celui-ci. On fait tellement de choses par amour, puis on se rend compte qu’on a fait une grosse erreur. Il y a ceux qui abaissent l’amour aux caprices des sentiments, ou le réduisent à un niveau naturaliste, ou le dégradent dans le canal de la perversion, quand il s’agit d’exploiter l’autre jusqu’à la cruauté et au crime. En revanche, la sexualité humaine est une force magnifique, colocataire de l’amour: en plus de la génération d’enfants, elle alimente toutes les relations humaines, elle a le pouvoir de créer des relations, des affinités, des sympathies, des amitiés ... Même une simple touche de la main est chargée d’énergie sexuelle, positive et bénéfique. A partir de ce coffret au potentiel indifférencié, on peut aussi sortir le génie de faire de la musique, de la culture, de la politique, de la religion, de l’éducation ... Une énergie qu’il faut apprendre à diriger dès le plus jeune âge, pour ne pas fermer une action - ou la vie dans son ensemble - dans une impasse désastreuse.
Si d’un côté Jésus dit d’accomplir la loi de Moïse jusque dans les moindres détails, de l’autre il impose un commandement nouveau, celui de l’amour, quelque chose qui semble assez étrange: l’amour peut-il être imposé? Pouvez-vous recevoir l’ordre d’aimer? L’amour peut-il devenir un devoir? Si l’amour est commandé, alors est-il libre? Prenons le mariage: c’est une institution, un contrat, un sacrement qui lie les gens, il les oblige à s’aimer et à rester fidèles l’un à l’autre pour la vie. Quand la fraîcheur et la spontanéité des premiers temps sont passées, il arrive que les époux commencent à jouer un rôle, et le mariage devient une fiction, une hypocrisie gigantesque, la tombe classique de l’amour. Une telle chose fait à juste titre peur, c’est pour cette raison que beaucoup de jeunes abandonnent a priori l’idée du mariage et choisissent de s’aimer sans obligation, sans formalités, de laisser l’amour avec le parfum de la liberté, de la spontanéité, de la réversibilité, et de se donner une possibilité improbable de réinitialiser la vie, on ne sait jamais ...
Mais l’amour n’est pas destiné à mourir dans une tombe. Quand l’amour naît, il apporte un présage, une sorte de vocation à l’éternité. Deux personnes qui s’aiment disent que ce sera pour toujours, forever. Ensuite, c’est à eux d’éviter que ce forever, inséré dans le temps des devoirs, se mette à grincer, à avoir une odeur de nourriture périmée, à conduire à l’ennui, à la déception, au désespoir. Que faire pour durer et donner à l’amour un caractère de fraîcheur toujours nouveau? C’est ici que le devoir d’aimer prend le relais, reconnu et partagé. Il a pour fonction de protéger l’amour, de le soustraire à la volubilité, au caprice, à l’arbitraire, à la perversion, aux jouets sexuels, de le rendre plus fort et plus épanoui, de lancer l’ancre dans un horizon d’éternité. Celui qui sait se donner le devoir d’aimer, en vient à aimer plus haut que le soi-disant amour libre. Le mariage, au lieu du tombeau de l’amour, en devient plus exactement l’école. En français, les devoirs sont les tâches que les écoliers font à la maison.
L’amour nous place devant un nouveau concept de Dieu: “Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour” (1 Jn 4, 7). Pour Jésus, le plus grand amour est de “donner sa vie pour ceux qu’on aime”. Il l’a dit et il l’a fait, à la veille de sa passion, nous laissant le commandement d’aimer. Après tout, qu’est-ce que l’éternité? Pour les disciples qui suivent un tel Maître, l’éternité est la vie ressuscitée placée dans le temps des devoirs.
Amen
Année B - V Dimanche de Pâques (Jn 15, 1-8)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage”
Nous nous trouvons dans le contexte de la Dernière Cène, dans le discours d’adieu que Jésus prononce devant quelques amis proches. Il dit que la vigne (sa personne) a une relation essentielle avec le vigneron (le Père). Jésus se définit - et il définit la mission qu’il s’apprête à accomplir - par rapport au Père: il ne fait rien par lui-même. Puis il développe la métaphore en introduisant un troisième élément, celui des sarments, faisant allusion aux amis qui y sont présents. Eux aussi, à eux seuls, ne peuvent rien faire: “En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire”. On voit comment ça se passe en agriculture: le vigneron, la vigne, le puissance vitale, les sarments.
L’analogie est puissante. La taille est une opération qui nécessite une main experte, les agriculteurs en sont jaloux, ils laissent à peine les autres toucher les plantes. Couper une vigne et la mettre sous discipline semble être un acte de cruauté. En réalité, si la force de la sève coule dans la vigne, le vigneron prend soin de ne pas la gaspiller inutilement, dans le mauvais sens. Il élimine donc les pousses exubérantes qui ne sucent que de l’énergie, et concentre la sève dans les bonnes pousses.
C’est une image de la vie spirituelle. Il y a un vigneron divin qui écarte les mauvaises branches et favorise celles qui sont prometteuses. Une coupe ici, une coupe là, et nous sommes dépouillés des choses superflues qui pèsent sur notre vie. La souffrance est donc inévitable. C’est Dieu qui donne de la lumière aux sarments, les élaguant avec la main prudente du vigneron. Cela semble être un acte hostile, et quand nous souffrons, il semble qu’Il veut nous blesser, qu’Il soit en colère contre nous. Il nous semble étrange que Dieu fasse pleurer les bons, alors que toute la racaille de l’humanité passe un bon moment. En réalité, s’il n’y avait pas de pleurs de la vigne, sa force vitale serait dispersée, et la gradation du vin serait compromise: les pleurs en concentrent les forces.
La liberté humaine elle-même implique une série de décisions plus ou moins difficiles. Dé-cider signifie couper. Quand je dois prendre une dé-cision, je suis confronté à un éventail de possibilités. Je dois couper, écarter, abandonner les nombreuses autres possibilités que la vie me propose. Je ne peux pas avoir trop de passe-temps, trop de divertissement, trop d’études, trop d’amis, trop de gens à aimer. Si mes sarments s’étiraient à toutes les expériences possibles, sans le courage de faire un choix, je ne ferais que disperser mes forces, perdre de vue ce qui compte, me retrouver à cinquante ans sans rien, avec une poignée de sable en main. Sans parler de ces parents qui, en regardant les autres parents, se mettent en tête de faire vivre à leurs enfants toutes les expériences possibles et imaginables, du judo à la piscine: ce sont de mauvais agriculteurs, ils travaillent pour se dissiper. Mieux vaut se concentrer sur ces quelques activités que les enfants disent aimer, et que les parents peuvent offrir.
En se promenant dans les bois, parmi les lignes de terre autrefois cultivées et maintenant réduites à l’abandon, il est possible de remarquer dans les buissons quelque vigne sauvage qui pousse au fur et à mesure, sans jamais devenir une souche solide adaptée à la production de grappes. Les feuilles sont grandes et vertes, mais en automne, le cycle se termine sans fruits. Tant d’existences humaines se font ainsi: dans leur jeunesse prometteuse et pleine d’énergie, elles empruntent alors un chemin stérile, plein d’illusions, de désolation et de tristesse. C’est vraiment vrai, et Il l’avait dit: “En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire”.
C’est ce que Jésus demande à ses disciples, à la veille de l’événement pascal, avec cette histoire du vigneron, de la vigne et des sarments. Il part, mais il demande aux siens de rester dans son amour. À la veille du drame, un héritage d’amour! En plus de celui de la vie spirituelle, voici le principe de la vie ecclésiale: rester en lui, grandir, porter du fruit, aimer selon une idée de communion, non avec un esprit d’appropriation et de possession.
Après tout, nous n’avons rien qui soit vraiment à nous. Nous nous leurrons sur les titres de propriété, les maisons, les terrains et les comptes bancaires que nous appelons les nôtres, mais si nous avons vraiment quelque chose, tôt ou tard, il nous sera pris, piqué, volé, vaporisé ... dans le meilleur des cas nous le laisserons à d’autres, sans même savoir qui fera la fête avec les biens que nous avons imprudemment accumulés. Nous sommes aussi tentés de nous approprier la vie des autres, avec toutes ces histoires de dépendances, d’amours malades, d’amours trahies …
Pourtant, c’est précisément dans ce rien que nous avons que vit notre liberté, notre force. C’est un signe clair, pour ceux qui veulent le comprendre, que sur cette terre nous ne vivons pas, mais nous nous préparons à vivre! Le secret est dans un petit mot: rester en Lui. De même que Jésus reste dans le Père, nous aussi en lui. C’est l’essence de la résurrection!
Sans cet espace de communion et de vie intérieure, l’ego ne pourra jamais dire: nous, de manière libre, et nous serons toujours tentés de plier le nous à l’ego, en établissant des relations de force. Dans les événements qui perturbent ma vie, il n’est donc pas très important de me demander: que vais-je faire? ou comment vais-je le faire? mais une seule chose est importante, une condition: rester en Lui. Tout ce que j’ai, je dois le redonner en amour. C’est ainsi que j’arriverai à porter du fruit!
Amen
Année B - IV Dimanche de Pâques (Jn 10, 11-18)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Moi, je suis le bon pasteur; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis”
La figure de l’Évangile d’aujourd’hui peut sembler anachronique, mais elle est d’une tendresse sans égal. C’est une splendide image du passé, mais les progrès actuels seraient impensables sans la contribution plurimillénaire de la civilisation pastorale. Les bergers ont ouvert les paysages à l’agriculture, leurs voies de transhumance ont préparé les voies des futurs échanges commerciaux. Leur civilisation a précédé les civilisations paysannes, bourgeoises (bourg = ville) et industrielles. Les quelques bergers restants devraient être aidés et protégés, non pas comme s’ils étaient une espèce en voie de disparition, mais pour le rôle qu’ils jouent, pour les connaissances particulières qu’ils véhiculent. Un vieux berger du massif de la Maiella, l’un des derniers restants sur cette montagne, m’a dit: si les supermarchés sont bloqués, les gens vont mourir de faim, parce que plus personne n’est capable de garder un troupeau.
Aujourd’hui tous les enfants vont à l’école, mais beaucoup d’entre eux n’ont jamais vu de mouton, sauf dans la publicité. En outre, le terme mouton est utilisé comme symbole de sottise et de conformité, avec un sens péjoratif qui se réfère à quelqu’un qui ne comprend rien. Aujourd’hui, personne n’aime l’idée d’être un mouton qui fait partie d’un troupeau, ce serait une offense à sa dignité et à sa liberté. Pourtant, dans le monde de la mode et de médias, par exemple, nous sommes devenus si conformistes que nous nous sentons presque forcés de nous habiller ou de penser de la même manière que les autres.
En fait, l’une des caractéristiques les plus évidentes de notre société est la massification: la presse, la télévision, internet sont des outils de communication de masse. Souvent, au lieu de former et d’informer, ces instruments déforment la réalité. Sans nous en rendre compte, nous nous laissons influencer par toutes sortes de persuasions et de manipulations. Nous mangeons ce qu’ils nous disent de manger, nous nous habillons comme ils s’habillent, nous dansons comme nous les voyons danser. Nous sommes fiers et nous disons avoir construit une ère de liberté comme jamais dans l’histoire, mais il y a des libertés qui ne sont pas la liberté, mais une conformité sinistre.
D’autre part, le mythe de la modernité est né avec la tentative explicite de libérer l’homme de toutes sortes de hiérarchies et d’autorités, y compris l’autorité divine, mais ... l’avenir du monde pourra-t-il se passer de Dieu? Est-il possible qu’il y ait un troupeau d’hommes sans berger pour le guider et le garder ensemble? Le contraire ne se produit-il pas, c’est-à-dire que le troupeau humain se retrouve entre les mains d’un mercenaire impitoyable qui l’exploite et le disperse?
La civilisation moderne, standardisée, aplatie et globalisée, a oublié les valeurs de la civilisation pastorale. Le système a été monétisé, commercialisé, taxé, tout est vénal, tout est acheté et vendu, au point que certains nostalgiques du passé, pour échapper à ce système de choses, rêvent de s’acheter trois ou quatre bêtes et de les emmener au pâturage, en pensant récupérer la liberté perdue, le calme des espaces ouverts, des sentiments détendus. Mais il est clair que nous ne devons pas non plus tomber dans une idéalisation incohérente de la vie pastorale, qui a été également parsemée de sacrifices et de dures épreuves de la vie.
Être la brebis du Seigneur est l’opposé du conformiste, être le troupeau du Seigneur est l’opposé de la masse, et l’ art pastoral est l’opposé de la globalisation. Jésus n’a pas dit: je suis un prince, un roi, un président, un pape ou un chef ... Il a dit: “Je suis le bon berger”, celui qui connaît les brebis une à une, il les appelle par leur nom, il leur ouvre la route et les défend. Les brebis le suivent volontiers, elles se sentent en sécurité, elles sont pour lui compagnes de vie et de voyage, elles lui rendent la pareille avec du lait et de la laine, de la nourriture et des vêtements.
Du point de vue du berger des âmes, comme doit l’être un curé ou un pasteur, la communauté n’est jamais idéale, et le troupeau est composé en grande partie de brebis faibles, défectueuses, infirmes, blessées, égarées, perdues ... Le vrai berger ne s’arrête pas à cela. Il agit comme Jésus, il commence à chercher les brebis malades, pas les saines, les brebis perdues, pas celles qui sont déjà en sécurité!
Ce ne sont pas les compétences humaines qui sont exigées du bon berger, mais la sainteté de la vie. Il n’est pas censé de devenir un poète, un musicien, un psychologue, un manager, un organisateur ou un médiateur socioculturel: c’est aux laïcs de faire ces choses. Le berger doit simplement être côte à côté, connaître chacun par son nom, avec une attention saine, avec une attitude de vigilance, le bâton à la main pour défendre la Foi des agressions extérieures, et la houlette pour encourager les brebis hésitantes!
Amen
Année B - III Dimanche de Pâques (Lc 24, 35-48)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit: ‘Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour’ ”
La première lecture introduit le thème de l’ignorance: “D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes: que le Christ, son Messie, souffrirait” (Act 3, 17-18). Sur la croix, le Christ dit: “Père, pardonne-leur: ils ne savent pas ce qu’ils font.” (Lc 23, 34). Même les disciples d’Emmaüs reçoivent une réprimande vigoureuse: “Esprits sans intelligence! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire?’ Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait” (Lc 24, 25-27)
L’Évangile montre Jésus qui vient parmi les disciples apportant la paix, mais ils éprouvent des sentiments alternés de certitude et de doute, de joie et d’incrédulité. Ils se tiennent devant le ressuscité, ils le touchent, ils le voient manger, mais ils n’ont pas encore compris, ils n’ont pas encore atteint la Foi! Que manque-t-il? qu’ignorent-ils encore, doutant malgré les preuves? Jésus lui-même le dit: le fait qu’il ait dû souffrir puis ressusciter: c’est écrit! Dans les Évangiles, nous trouvons d’autres expressions du même type: lorsque la plénitude du temps est venue ... cela s’est manifesté pour que l’Écriture puisse s’accomplir ... tout est accompli ... Que cela signifie-t-il? Y a-t-il un destin ou un décret divin pour tout ce qui existe?
Quand, dans la transition de la préhistoire à l’histoire, les hommes ont inventé l’écriture pour suivre leurs commerces, même les événements temporels devaient être revêtus d’un sens de la fixité, de la nécessité. Il semblait que les choses devaient arriver parce que c’est écrit quelque part. L’invention de l’écriture a été un tournant décisif dans le chemin de l’humanité, même l’avènement de l’imprimerie ou des technologies de l’information n’ont pas eu la même importance.
Avec l’écriture, le sens du sacré est passé de l’ordre des phénomènes naturels aux textes écrits. On disait que les écrits anciens des cultures les plus diverses étaient sacrés parce qu’ils véhiculaient un fondement divin à la base d’une société. Aujourd’hui encore, quand on veut être sûr de la véracité d’une déclaration, on se demande: où est-elle écrite? Est-ce ainsi que nous devrions comprendre la Bible? Est-ce ainsi que Jésus a accompli l’Écriture? Comme s’il s’agissait d’une série d’actions déjà prédéterminées, décrétées, codifiées?
Regardons le Baptême au Jourdain: à ce moment-là, ce n’est pas Jésus qui est sanctifié par les eaux, mais ce sont les eaux qui sont sanctifiées par lui. De la même manière, ce n’est pas que Jésus soit venu au monde pour accomplir un destin ou une chose établie par décret divin, mais dans le sens qu’il est descendu dans l’histoire de son peuple, a accompli, achevé, finalisé ce qui manquait! Les choses inachevées sont frustrantes et mortifient la raison d’être, comme une étude inachevée à l’université ou un travail public qui n’entre pas en fonction faute de paperasse.
Aujourd’hui, malgré la disponibilité de textes anciens et l’immense quantité de commentaires introductifs, il est facile de constater dans quelle mesure le sacrement de l’ignorance est plus répandu que le sacrement de l’Eucharistie. En tant que chrétiens et baptisés nous disons que nous croyons en Jésus et que nous nous réunissons le dimanche, mais pour ce qui est de la Foi en Lui, nous nous retrouvons dans la même posture hésitante que les apôtres au Cénacle, par manque de quelque chose de capital.
En Europe, s’il y a un peuple de gens ignorants en termes de religion, ces sont les catholiques italiens. Ils ont le pape, les évêques et les prêtres plus près d’eux qu’aucun autre peuple, mais ils montrent qu’ils sont plus ignorants que les autres, pourquoi?
En Italie, en 1995, il y avait une armée de 150 000 magiciens et opérateurs de l’occulte face à 50 000 prêtres; les Italiens (diplômés et de culture moyenne) ont dépensé 1500 milliards de vieilles lires en magie, sorts, horoscopes et factures, alors qu’ils ont donné à l’Église catholique 600 milliards de lires avec l’ 8x1000 des impôts. 12/15 millions d’Italiens sont allés voir des magiciens et des diseurs de bonne aventure pour être guéris de la maladie, pour être rassurés sur leur avenir, pour empêcher ou conquérir un amour difficile. Il y a chez ce peuple une paresse qui laisse aux hiérarchies sacrées l’effort de penser et de croire, au point de déléguer l’acte de Foi aux autres. Avec ces prémisses, le catholique italien moyen confond le pape avec Dieu, la politique avec le pape, la religion avec la politique et la superstition avec la religion.
Nous autres prêtres, nous ne brillons pas non plus dans la connaissance des choses de Dieu: nous nous déplaçons dans les limbes d’approximations grossières et rudimentaires, ou nous commençons à vouloir être professeurs, psychologues, musiciens, opérateurs dans le social ... Étant moi-même italien, je remarque des choses que j’ai connu en Italie, mais on peut facilement constater que le même interêt pour l’ésotérisme, la magie, la divination … se manifeste un peu partout.
Voici ce qui manque à la communauté chrétienne aujourd’hui: toucher le corps des Écritures, ouvrir l’esprit aux Écritures, parce que l’Écriture a un corps! Voici le discours que nous n’aimons pas entendre ou que nous ne voulons pas comprendre, par rapport auquel nous nous trouvons dans la plus grande ignorance: la nécessité de souffrir pour pouvoir ressusciter, d’apprendre à trouver les germes d’une nouvelle vie dans les enjeux critiques de chaque jour!
Il n’y a rien de sacré ou d’ intouchable dans tout cela: c’est un travail à faire tous les jours. Au lieu de simplement toucher et embrasser des statues comme le font les fidèles du Vendredi Saint, qui se mettent en deuil pour Jésus mourant chaque année sans envisager la moindre résurrection, nous devrions plutôt apprendre à toucher et à embrasser le Corps des Écritures. Que le Saint Livre reste à l’ honneur dans nos maisons, toujours ouvert, pour qu’il nous offre une page sur laquelle méditer et à incarner chaque jour. N’oublions pas saint Jérôme: “L’ignorance des Écritures, c’est l’ignorance du Christ!”
Amen
Année B - II Dimanche de Pâques (Gv 20, 19-31)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit: ‘La paix soit avec vous! …’ ”
Tout s’est passé en quelques jours: l’entrée triomphale dans la ville, la capture dans la nuit, le procès inéquitable, le chemin douloureux, la mort ignominieuse et un enterrement à la hâte. Puis le silence de la tombe et la difficile recomposition du groupe. Une mauvaise journée: les disciples passent tout leur temps enfermés; ils sont des Galiléens, donc étrangers à Jérusalem, ils craignent de nouvelles représailles de la part de ceux qui ont tué Jésus. Enfin, le soir de ce même jour, le Ressuscité arrive, apportant le double souhait de paix et une grande joie! La scène se répète exactement huit jours plus tard, toujours enfermés dans la maison, toujours intimidés, la même adresse de paix, la même invitation à reprendre confiance. Les annotations chronologiques sont précieuses: dans les deux cas, Jésus apparaît le premier jour après le sabbat, le premier jour de la semaine, le jour d’un nouveau départ pour les activités de la semaine. Les disciples prendront l’habitude de se réunir en ce jour, qui désormais s’appellera dies dominica (dimanche), le jour du Seigneur (Dominus), destiné à remplacer le samedi juif. L’ancienne institution rituelle du samedi s’explique par la nécessité de garantir aux pauvres (et aux bêtes de travail) un jour de repos par semaine, pour éviter qu’ils ne soient obligés de travailler toute leur vie sans interruption. Le repos sabbatique a été la première conquête syndicale (et animalière) de l’humanité.
Aujourd’hui, le samedi implique la nervosité de la veille et des attentes disproportionnées. On se prépare à l’impact avec les autres, dans un restaurant, dans une salle de danse ou dans une chambre à coucher, mais ... combien de promesses trahies! Des hommes trahissent parce qu’ils ont peur de vieillir, des femmes trahissent parce qu’elles rêvent de quelqu’un de plus noble qu’un homme devenu insipide, spectateur de football en pantoufles devant la télé. Il y a des années, il n’y avait que les acteurs qui trahissaient, puis les divorces et les avocats sont venus. Des hommes et des femmes de tout niveau social se sont levés et ont crié ensemble: trahissons nous aussi, tant pis, il n’y a plus rien à sauver qui puisse avoir une valeur d’éternité. Dansons et chantons sans réfléchir sur ce navire qui coule toujours, faisons ce qu’il y a à faire, pour autant, désormais ...
Si nous traitons le dimanche comme un week-end banal, ce qui était censé être un nouveau départ de semaine, finit par exprimer la frustration et l’envie de s’échapper du hamster qui tourne dans une cage. Si encore nous utilisions le dimanche comme un dépotoir pour les choses les plus disparates: pour récupérer une étude, l’arriéré, le sommeil perdu, ou pour se débarrasser de la gueule de bois du samedi soir… Le rapport au temps est en quelque sorte brisé, dérangé, malade. Ceux qui traitent le dimanche de cette manière détestent généralement les lundis, et commencent la nouvelle semaine comme s’ils avaient reçu un coup sur le front. Pour terminer ce beau cadre, certains prêtres se plaignent des églises de plus en plus vides, expriment une frustration qui finit par paralyser même les quelques braves personnes qui sont restées. Ceux qui vont encore à l’église le font avec le sentiment des survivants, comme les apôtres ce soir-là renfermés au Cénacle. En réalité, le vrai problème d’un dimanche vide n’est pas: pourquoi les gens ne viennent-ils pas à la messe? mais: pourquoi la vie vaut-elle si peu?
Le dimanche, vécu en tant que jour du Seigneur, nous offre la meilleure occasion pour mettre à zéro et réinitialiser tout cela. Jésus lui-même nous donne la parole dont nous avons besoin pour reconnaître ces misères et retrouver la confiance pour recommencer.
Amen
Année B - Résurrection du Seigneur (Jn 20, 1-9)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts”
Il est difficile de croire à la Résurrection, à tel point que même les disciples n’y croient pas! La découverte du tombeau vide conduit Marie de Magdala à donner des nouvelles à Pierre et au plus jeune disciple: “On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé”. Pierre et Jean courent sur place, constatent l’absence. Seul Jean a compris : “il vit et il crut”. Le plus jeune, le premier à manifester un grain de compréhension! Pour lui, le constat de cette absence suffit à évoquer la présence du ressuscité. C’est le début de la Foi pascale!
Où chercher le Seigneur? Marie est inquiète, elle n’a pas compris, elle cherche sa dépouille, elle veut un endroit où aller pleurer. Elle rencontre le ressuscité à l’extérieur du tombeau mais elle ne le reconnaît pas, elle le prend pour le gardien du jardin, pour un … employé des pompes funèbres, et elle pense à un vol du cadavre: “Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre”. Marie est toujours dans le noir, le passage à la Foi va bientôt éclater, il est vrai qu’elle cherche, mais elle cherche un mort. La douleur du deuil obscurcit la vue, elle ne reconnaît pas le Seigneur, elle le prend pour un autre!
Beaucoup de gens, comme Marie-Madeleine, font leur deuil et semblent avoir l’intention d’y rester. Ils se retrouvent devant des êtres chers, ils ont la possibilité de raviver des affections perdues, ils ont la solution de leurs problèmes sous les yeux, mais ils ne la voient pas, parce que la douleur est trop forte. Ils baissent les yeux et abandonnent. Mieux vaut la sécurité d’un sépulcre bien clos que l’insécurité d’un espoir ouvert. Mieux vaut s’enfermer dans la capsule de la déception que d’essayer de nouvelles voies. Mieux vaut une larme certaine aujourd’hui, qu’un sourire incertain demain. Au fil du temps, le sépulcre fermé est adopté comme une forme de vie: il n’y a plus rien à faire. Toute la psychologie de ces personnes est concentrée autour d’une tombe, elles finissent par aller au cimetière non pas pour honorer la personne chérie, mais pour le plaisir de se cogner la tête contre sa pierre tombale. Voici la psychologie de la tombe, tous ces regrets, cette collecte des souvenirs, des objets éparpillés partout dans la maison, comme des collectionneurs de choses anciennes et d’antiquités.
Il y a trop de gens sans résurrection, trop de chrétiens sans le Christ ressuscité: ils accompagnent Jésus dans la tombe, ils pleurent, ils l’aiment tellement, mais … jusque-là et pas plus loin. Qu’est-il est arrivé? Pourquoi ce manque de Foi? Quant aux premiers disciples, “ils n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts”. Bien qu’ils aient vécu ensemble pendant trois ans avec le Maître, ils n’ont pas compris la substance de son message, sa Pâques de la Mort et de la Résurrection.
Pour Marie-Madeleine tout change quand, se sentant appelée, elle fait un pas en avant, dans la direction de Jésus. Spes vient de pes (pied): espérer signifie faire le premier pas, puis le second, le troisième ... Voici l’exercice de l’espérance, ce mettre le pied en avant, pour rencontrer le ressuscité. Dans cette page splendide nous trouvons qu’entre Jésus et Marie, ex-prostituée, il y a une relation affective très forte, très humaine! Cela nous engage également à faire le premier pas, à rechercher l’absent qui est effectivement bien présent, à voir celui qui n’est pas visible, à trouver celui qui n’est pas dans un lieu identifiable et précis. Nous sommes obligés de chercher: “Il n’est pas là!”
Amen
Année A - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur - (Gv 12, 12-16)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui: c’était bien ce qu’on lui avait fait”
Avec l’entrée de Jésus à Jérusalem et la procession des rameaux d’olivier, commence la Grande Semaine, prototype de toutes les semaines de l'année. Chaque jour, d’un dimanche à l’autre, est une commémoration du voyage de Jésus de la croix à la lumière. Les célébrations de la Semaine Sainte nous donnent les réponses que nous cherchons de temps en temps. Naître, souffrir et mourir: que reste-t-il à espérer? D'où un profond respect: respecter les temps de travail et les temps de la liturgie!
Les premiers chrétiens ont commencé à célébrer le jour du Seigneur le premier jour après le jour festif des juifs, le samedi, pour signifier le nouveau commencement de la résurrection. Aujourd'hui le dimanche s'est réduit à un week-end banal et nous, suivant notre instinct d'évasion, pensons aux ponts et aux vacances. Il en faut très peu pour garder la vie sur pied, mais nous travaillons comme des fous pour des choses qui ne satisfont pas. Nous nous endettons et faisons des sacrifices pour aller voir de nouvelles choses dans les endroits les plus éloignés, pour ensuite rentrer chez nous plus vides et plus stressés qu'auparavant. Nous respectons les traditions et nous allons à la messe tous les dimanches, parfois avec les yeux écarquillés de ceux qui ne comprennent pas grand-chose de ce qui se passe sous leurs yeux. Nous ressemblons à ces disciples qui, pour le moment, ne comprenaient pas la portée des événements, bien qu'ils aient eu affaire à Jésus lui-même. Ce n'est qu’après coup qu’ils se sont souvenus de la signification de cette semaine sombre et magnifique.
Selon les Actes apocryphes de Pierre, pendant la persécution de Néron, Pierre s’échappe de Rome pour éviter le martyre, dans une direction sud, sur la Via Appia. À un moment donné, Jésus lui apparaît allant dans la direction opposée, vers la ville. L’apôtre lui demande: “Quo vadis, Domine?” “Seigneur, où vas-tu?” Et il répondit: “Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau”. L’apôtre comprend que Jésus reviendrait mourir dans la personne des disciples restés dans la ville, et voit dans sa réponse une invitation à partager le sort de ses frères de Foi. Selon la tradition, Pierre retourne en ville et est crucifié la tête en bas, ne se considérant pas digne de mourir de la même manière que le Maître.
Le Christ continue de mourir et de ressusciter aujourd'hui dans la personne de ses disciples. La fugue sur la Via Appia est le symbole de nombreuses histoires qui se répètent. Une femme déclare son athéisme intellectuel, elle a une fille de seize ans qui tombe malade d’un cancer. On l’opère, elle est tourmentée de tous côtés. Contrairement à la mère, la fille est croyante. Elle veut que la Passion lui soit lue. La mère ouvre l’Évangile et commence à lire. La fille s’endort dans la mort, tandis que la mère s’éveille à la Foi!
La procession des Palmes nous fait être comme Pierre, comme cette mère: revenons à nous-mêmes et représentons-nous de temps en temps pour comprendre les événements qu’ils se produisent dans le mystère de la Liturgie!
Amen
Année B - V de Carȇme (Gv 12, 20-33)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit”
La maturation des fruits est un processus biologique dans lequel nous pouvons entrevoir un prodige divin. La différence entre l’état initial de la graine et l’état final du fruit est un emblème de la vie humaine: si elle meurt, elle porte du fruit. Jésus est en train de parler de sa mission: il est Lui le grain qui doit mourir et porter du fruit! Il avait déjà dit cela d’autres manières: il y a une coupe à boire, il y a un baptême à recevoir (Mc 10, 38); il est comme un berger qui donne sa vie pour les brebis (Mc 14, 27); il est cette pierre qui est sur le point d’être jetée, destinée à devenir une pierre angulaire (Mc 8, 31).
Ainsi, celui qui aime sa vie la perd, mais celui qui la perd par amour la gagne pour toujours. Il y a une chose qui me tenait à cœur, j’y ai travaillé pendant longtemps, c’était devenu le but de ma vie, puis ça a mal tourné, me laissant le sentiment d’avoir tout raté. Que faire? Continuer à y songer pour le reste de mes jours, vivre avec le regret et l’amertume, ou regarder au-delà? Tout comme le grain: si je le tiens fermement entre mes mains, il reste seul, mais si avec un acte de générosité je le confie à la terre, après l’obscurité de la motte et la pourriture de la mort, voici le fruit! Mais avant d’arriver aux fruits souhaités, comment nous situons-nous dans ce sillon?
Il y a des personnes célibataires, par force, par choix ou par nécessité. Au fil du temps, des sentiments de colère et de résignation peuvent survenir, alors des personnes commencent à vivre d’expédients et de substituts. Elles voient tout en noir, leurs mots sont amers, leurs couleurs préférées sont celles du deuil, elles deviennent arides, acides, mauvaises, aux jugements impitoyables envers quiconque les rencontre. Un grain infertile se renferme dans l’égoïsme, il refuse de tomber et de mourir. Si, en revanche, ces personnes s’ouvrent aux valeurs communautaires et pratiquent un certain degré de sociabilité, il se peut qu’elles rencontrent un partenaire de vie, ou qu’elles ne le rencontrent peut-être pas, mais au moins elles auront vécu avec un sentiment de plénitude et satisfaction!
Il y a des couples heureux qui n’ont pas d’enfant mais qui en désirent plus que tout au monde. Après des années d’attente frustrante, l’obsession prend le dessus au sujet de ce qui est devenu le seul but de leur vie: avoir un enfant. Pourquoi, moi qui parviens à tout, je n’arrive juste pas à ça? Pourquoi cela est-il accordé à d’autres qui sont pires que moi, alors que j’ai tant d’amour à donner, non? La personne qui développe de telles pensées finit par imaginer une cruelle injustice divine, et entre en crise lorsqu’elle voit d’autres couples heureux avec un bébé dans les bras. Encore une fois, le grain est appelé à se confier à la terre, à accepter de tomber et de mourir.
Il y a des couples heureux avec des enfants, dans la classique petite maison dans la prairie. À un certain moment, les enfants commencent à cultiver leurs propres intérêts, ils prennent des directions inattendues, les choses ne sont plus les mêmes qu’avant, les parents entrent en crise. Que faire, dépenser toute leur énergie pour sauver un scénario familial désormais périmé, ou confier ce grain à la vie, accepter la nouvelle situation, en vue d’un objectif peut-être plus modeste, mais plus vrai?
Quant au mariage, il y a ceux qui font de l’ironie, des blagues plus ou moins amères, plus ou moins intelligentes. Socrate, lorsqu’on lui demandait s’il était bien de se marier ou non, répondait: “dans les deux cas, tu le regretteras”. Pour Abelard “Y a-t-il peut-être une chaîne plus frustrante que le lien conjugal? Être crucifié par les soins quotidiens dû à une femme et à ses gosses?” Kant a déjoué le sujet avec un sophisme: “Quand j’avais besoin d’une femme, je ne pouvais pas en maintenir une, et maintenant que je suis capable d’en maintenir une, je n’en ai plus besoin”. Le célibataire Kant pensait en termes de rigueur morale, et le célibataire Spinosa en termes d’éternité, signe qu’ils n’étaient pas tout à fait à l’aise parmi leurs semblables, ou qu’ils n’avaient pas adéquatement fréquenté les réalités conjugales.
Je me souviens d’un de mes camarades d’études qui rêvait de devenir ermite sur le mont Soratte, et qui m’avait presque aussi impliqué dans son projet. Comme il avait réalisé que toutes les femmes du monde ne satisferaient pas ses besoins mystiques, il décida de les exclure toutes, d’où sa propension au célibat. Heureusement, je connaissais déjà les montagnes des Abruzzes et des Alpes: le Soratte n’est qu’un rocher très intéressant qui s’élève dans la plaine au nord de Rome, dans la vallée du Tibre. J’ai revu cet ami une dizaines d’années plus tard: il cultivait les mêmes rêves, mais physiquement en surpoids, avec un ventre en forme de tonneau, comme s’il compensait le manque de relations sexuelles avec de la nourriture. Ce n’était certainement pas une stratégie idéale pour se dédier à une expérience mystique!
Dans le 2001, avec certains de mes confrères, nous avons essayé de comprendre l’origine et la raison de certaines vocations non accomplies, inachevées ou moralement dégradées. Nous avons essayé de faire une analyse sur la base de certaines expériences vécues. Voici les résultats de cette réflexion.
L’Église post-tridentine, avec l’obligation du célibat des prêtres, déjà enrôlés à un âge précoce, a produit des variations infinies du même malaise, comme on peut facilement le constater dans le mal vivre quotidien de certains ministres de Dieu. Un candidat formaté dès l’enfance pour adhérer à la tâche d’une vocation divine, sera difficilement en mesure de gérer les sentiments de culpabilité engendrés par les infractions physiologiques à la règle. En fait, les règles doivent être observées, mais il est impossible de les observer toutes, et à la perfection, car nous sommes des êtres limités. Devant toute issue bloquée, la personne cherche sa sécurité dans un comportement codifié, ou elle se crée un statut éthique absolument personnel. Au fil du temps, d’une âme pure qu’elle était, cette personne - qui peut être chacun de nous - devient dans le meilleurs des cas une souche sèche, ou au pire un réceptacle de cochonneries diverses. Cela peut arriver au plus haut-placé des prélats comme au dernier des laïcs.
Si, au contraire, au moment où la personne se rend compte de son malaise, elle s’engage à garder le sens de ses choix et de ses responsabilités, les obligations qui en découlent lui donnent une meilleure expression d’ordre et de beauté, d’élégance et de gentillesse. Le célibat et le mariage doivent avoir un caractère commun: en amont, il doit y avoir un choix, pas une obligation. Le trésor du célibat, tout comme celui du mariage, doit être proposé et chéri avant tout comme un choix, et non pas tant comme une obligation.
Apparemment, dans la structure laïque et cléricale, qu’elle soit régulière ou séculière, célibataire ou mariée, nous pouvons tous trouver de bonnes raisons de nous plaindre de notre destin, des choses que nous aurions pu avoir et n’avons pas eu. Si nous en venons à des considérations de ce type-là, cela veut dire que nous travaillons mal, ou que nous n’avons pas fait grand-chose pour le Royaume des Cieux.
Heureusement, Jésus nous offre une solution qui ressemble tellement à un grain gonflé de promesses: la vie divine, une vie ressuscitée, comme la sienne, dont la caractéristique consiste en plénitude et abondance, à tous les niveaux, à partir de cet instant!
Amen
Année B - IV de Carȇme (Gv 3, 14-21)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle”
Quelle idée avons-nous de Dieu? Le catéchisme nous a transmis une définition inattaquable: “Dieu est l’Être tout-puissant, le Créateur et le Seigneur du ciel et de la terre”. Sauf qu’au fil du temps, les gens se rendent compte que cet Être tout-parfait est en effet plein de défauts, il n’intervient pas pour réparer les échecs et les injustices du monde, il laisse même ses enfants mourir misérablement. Mieux vaut être athée que croire en un Dieu si indifférent et cruel.
D’autres psychologies font des détours plus compliqués. Puisque Dieu est l’Être le plus parfait, il est logique qu’il voie tout ce qui se passe sous le ciel, il me voit, et je dois faire attention à ce que je fais. Donc, j’élabore l’idée d’un Dieu espion qui regarde toutes mes actions pour m’attraper en flagrant délit. Je commence à penser que Dieu m’épie avec son fusil pointé. Il y a un beau film, intitulé L’Associé du diable, dans lequel le diable en personne se présente à un avocat et lui expose sa pensée:
“Dieu aime regarder, il est un voyeur. Il donne à l’homme l’instinct, il lui donne ce don extraordinaire, et que fait-il alors? Pour son plaisir, pour une distraction cosmique, il établit des règles contradictoires. ‘Regarder, mais pas toucher!’ ‘Toucher, mais pas goûter!’ ‘Goûter, mais pas avaler’. Et pendant que vous dansez et vous vous amusez, que fait-il? Il reste là qui se fâche de rire! Dieu est un sadique, un constipé, un patron absent. Et faut-il l’adorer? Non: mieux vaut pour moi être seigneur en enfer, que serviteur au paradis!” (1)
Puis, il s’avère que ces psychologies obsédées par l’idée d’un Dieu espion sont celles qui aiment à leur tour regarder, espionner, transgresser et faire souffrir les autres. Prêtons-y attention: les personnes qui aiment la presse mondaine, les potins, les commentaires malicieux et regardent ce que font les autres pour avoir des choses à rapporter au public, sont exactement celles qui croient en un Dieu espion, un Dieu voyeur, un Dieu tordu et constipé. Par conséquent, elles lui attribuent la responsabilité de leurs malheurs, des accidents, des maladies, des guerres et des pleurs des enfants affamés. Elles ne s’aperçoivent pas qu’elles sont en train de parler d’elles-mêmes et de leurs idoles.
Et c’est ainsi que, avec nos choix idéologiques discutables, nous épaississons sur nos têtes ces fumées de malice qui nous tombent alors dessus. Nous sommes les auteurs-mêmes de cette colère qui s’abat sur nous. L’athéisme lui-même consiste en un énorme malentendu: attribuer à Dieu les qualités de l’idole! L’athée, quand il parle de Dieu, parle en fait de lui-même, de l’idée qu’il s’est faite de Lui!
Dans les Chroniques de l’Ancien Testament de la Messe d’aujourd’hui, les prêtres et les gens ont multiplié leurs infidélités, ils ont introduit des cultes étrangers dans le Temple du Seigneur. Les prophètes qui ont préconisé la réforme des moeurs ont été méprisés et tués. Puis vinrent les armées babyloniennes et elles détruisirent la ville, les maisons élégantes, les palais et le temple, enlevant les trésors, déportant la partie la meilleure et la plus productive de la population. Cette désolation a duré soixante-dix ans, jusqu’à l’arrivée de Cyrus, roi de Perse, qui a réussi à étendre son empire à Babylone et a accordé le rapatriement aux exilés de différentes nations.
Cyrus, du haut de sa puissance illimitée, ne sait rien de ce groupe insignifiant de survivants juifs, pourtant ceux-ci le célèbrent comme un instrument entre les mains de Dieu: “La première année … le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse”.
Ce chapitre de l’histoire se résout avec la reconstruction du Temple par un roi païen! Voici qui est Dieu, et ce qu’il fait: il sort à la rencontre de son peuple, il le suit dans son malheur, il vient le libérer, il brise les souches de son esclavage, il marche à sa tête, il le dirige vers la terre promise, terre de liberté, terre de lait et de miel! Tout autre chose qu’un Être tout-parfait!
À la veille des grands bouleversements, l’Histoire se présente souvent avec un cadre d’infidélité généralisée: aliénation, décadence, dégradation, corruption, pots-de-vin, compromis. Un cadre qui implique tout: le temple, le sacerdoce, le palais du pouvoir, les bureaux de la politique, les maisons des riches, la société civile. Il n’y a rien qui puisse se sauver, tout devient malsain et dégoûtant: le sanctuaire, l’éthique, la justice, la politique, la vie commune, le sexe, la famille, le mariage, pourquoi? A cause du faux concept que nous nous sommes faits de Dieu! Pour avoir eu l’audace de le remplacer par nos idoles!
Qui est Dieu, et que faire pour ressentir sa présence? Saint Jean vient à notre aide: “Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique!” “Dieu est amour!” “Dieu nous a aimés en premier!” Il est temps d’en finir avec ces décrets divins qui font pleuvoir des malheurs, des deuils et des punitions. Chaque fois qu’un désastre survient, nous disons que Dieu l’a voulu ainsi, que nous devons faire la volonté de Dieu, mais Dieu veut-il notre malheur?
En réalité, Dieu ne veut qu’une seule chose: sauver le monde, au point d’envoyer son Fils, par amour! Tournant notre regard vers Lui, nous nous sauvons. Certainement pas grâce à ces crucifix accrochés inutilement autour du cou ou sur les murs, plus profanés qu’honorés dans les maisons, dans les salles de classe, dans les tribunaux et dans les parlements, où l’on continue de le crucifier avec toutes les idioties qu’on dit et les injustices qu’on fait! Enlevons-les, ces crucifix inutiles! Regardons le Crucifix, le vrai, celui qui se cache dans l’image de la personne qui souffre! Il est temps d’en finir avec ces fidèles qui s’espionnent, qui espionnent le prêtre, qui espionnent l’évêque, voyeurs à trois sous! Voulons-nous enfin nous appliquer à faire la vérité, en disant en pleine lumière ce que nous avons à dire?
(1) Cf. Taylor Hackford: “L'Associé du diable”, c 1997 Warner Bros, 1.59.00
Année B - III de Carȇme (Mc 9, 2-10)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi / Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu / Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier / Honore ton père et ta mère / Tu ne commettras pas de meurtre / Tu ne commettras pas d’adultère / Tu ne commettras pas de vol / Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain / Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain / Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain” (Es 20)
Les quatre premiers Commandements sont verticaux, les autres sont horizontaux. Les droits de Dieu viennent en premier, puis les relations entre les hommes. L’honneur dû au père et à la mère est aussi une prérogative divine: honore ceux qui t’ont créés, honore la vie dans son origine. Bien sûr, les enfants doivent honorer leurs parents, mais l’inverse est également vrai: les parents doivent honorer la vie de leurs enfants, ils ne doivent pas les négliger, les induire en confusion, les rejeter. Aujourd’hui, Moïse dirait: honore l’enfant, respecte l’embryon!
À présent, ces commandements sont considérés comme des expressions d’une époque ou d’une culture dépassée, des interdictions arbitraires de Dieu, des limites intolérables à la liberté humaine. De belles déclarations d’athéisme sont faites pour n’avoir rien à faire avec des commandements divins. Et puis, il y a ceux qui acceptent certains commandements, mais en rejettent d’autres. Les mafieux, par exemple, honorent leur père et leur mère, ils respectent les femmes, ils réprimandent leurs enfants qui blasphèment, mais quant à ne pas tuer ou ne pas prendre les choses d’autrui, c’est une autre affaire. De la même manière, les gens traitent les commandements comme s’ils étaient au centre commercial: j’aime ça, je le prends, je n’aime pas ça, je ne le prends pas. C’est normal de sanctifier les fêtes, mais quant au paiement des impôts ou à la moralité sexuelle, chacun agit à sa guise. Certains fidèles observent scrupuleusement certains commandements, puis en enfreignent joyeusement d’autres! Ils célèbrent la patronale, puis ils manquent de charité!
Dans ce même sillage, il y a des croyances farfelues qui remplacent l’idée d’un gouvernement divin. L’horoscope, par exemple, est une mode omniprésente, il y en a pour tous les âges et toutes les classes professionnelles, même pour les adolescents et les enfants. Quel est ton signe? Apparemment, la question est aussi inoffensive que les bonbons offerts par un étranger mal intentionné. A long terme, l’idée prévaut que le succès ne dépend pas du travail ou de l’application personnelle, mais des facteurs extérieurs, des étoiles, de leurs positions, d’un destin prédéterminé. On commence à penser que le bien et le mal ne viennent pas de la capacité morale de la personne, mais d’ailleurs. Dans les Promessi Sposi, il y a un Don Ferrante convaincu que la peste à Milan est due à une conjonction fatale de Saturne et de Jupiter, alors il ne prend aucune précaution et meurt, en blâmant les étoiles. Il en va de même pour des gens qui ne croient pas vraiment que le coronavirus existe!
Le texte biblique est péremptoire: “Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux” (Ex 20, 4-5). Les idoles sont des statuettes en plâtre, vides de l’intérieur. Elles peuvent être des figurines en papier ou des affiches publicitaires géantes, mais une flamme suffit à voir leur incohérence. Ceux qui se tiennent devant des idoles finissent par devenir comme elles: vides et inconsistants. Il y a un risque de croire en un faux dieu, de se tromper de dieu!
Lorsque les Espagnols, menés par Hernán Cortés, sont arrivés dans le nouveau monde il y a cinq siècles, les Aztèques de Montezuma (1502-1520) attendaient le Quetzalcoatl, le serpent à plumes, le dieu qui n’aurait plus demandé de sacrifices humains. Ce dieu aurait dû venir de la mer. Mais la superstition religieuse s’avéra fatale pour Montezuma et ses sujets, qui confondirent imprudemment le débarquement des Espagnols avec l’arrivée de leur messie. Ils pensaient que Cortés était le dieu qu’ils attendaient! Ils accueillèrent joyeusement les conquistadores, ils présentèrent leurs trésors et leurs mines, excitant leur cupidité et leur cruauté. Moins de deux ans plus tard, la domination aztèque sur les peuples voisins était complètement détruite, et avec elle toute une civilisation. Ils ont cru à un faux dieu!
Moi aussi je cours le même risque de tout perdre pour un dieu raté, je dois donc faire une vérification, je dois voir en quel dieu je crois. Les idoles de la mode, de la chanson, du bal, de la formule un, de la caste sociale, du parti auquel j’appartiens, de l’entrepreneuriat et de la finance ... des petits ou grands dieux qui demandent toute mon attention, mon dévouement. Petit à petit ils prennent en main tous les aspects de ma vie, de mon temps, ils me donnent la permission de ne pas me soucier mon prochain, de ma famille, la permission de voler et dire des mensonges ... L’idole entrave ma liberté, il finit par m’asservir et me priver de joie de vivre. Il y a des gens qui sont fatigués et nauséeux dans la vie, signe qu’ils se sont trompés de dieu, qui se sont confiés à une idole qui réclame leur vie, maintenant. Si je me trompe de dieu, si je m’en fais un à mon image et à ma ressemblance, je me trompe complètement, je trompe même ma liberté.
Les idoles sont cause d’esclavage. Au lieu de cela, le Dieu de Moïse, à travers les commandements donnés sur la montagne sacrée, entre en relation avec l’homme et lui montre le chemin de la liberté. Le pèlerin d’aujourd’hui, escaladant le Sinaï, et suivant les traces du patriarche, trouve le long du chemin des signes de danger et des balustrades pour éviter de trébucher et de tomber dans le vide. La signification des commandements est la même: ce sont des limites, des parapets pour ne pas perdre l’équilibre. Même sur l’autoroute, s’il n’y avait pas de règles précises et la protection des barrières, ce serait une collision continue! Les Commandements ne mortifient donc pas la liberté, mais ils en définissent la direction!
Si les hommes observaient ces Dix Paroles, ils n’auraient pas besoin de multiplier leurs lois ou de faire appel à ces vagues déclarations universelles, si chères à la sensibilité des peuples démocratiques. Les hommes augmentent le volume et le poids de leurs codes législatifs, mais ils oublient étrangement le sens des dix Lois simples. Il n’est pas possible de se qualifier d’athée, s’il y a un père et une mère à respecter. Il n’est pas possible de se dire frères, sans un Père commun à honorer. Il n’est pas possible de se qualifier d’hommes, si nous avons perdu la capacité de protéger les femmes et les enfants, et si nous en abusons.
Ni fausses représentations ni fausses appartenances, alors! Nous l’appellerons simplement: Père, le Dieu de mes parents, le Dieu de mes pères!
Amen
Année B - II de Carȇme (Mc 9, 2-10)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Dieu dit: ‘Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai’ ” (Gn 22, 2)
Dans l’histoire d’Abraham, il y a environ quatre mille ans, nous constatons un événement aux significations abyssales: Dieu le met à l’ épreuve en lui demandant la vie de son fils Isaac. A cette époque, le sacrifice des premiers-nés était presque une tradition. Lors de la fondation d’un sanctuaire ou d’une nouvelle ville, par exemple, le corps sacrifié d’un premier-né était mis dans les fondations, pour lier le dieu de ce lieu et s’assurer de sa protection. Même dans l’agriculture et la chasse, c’était un peu le même principe: les prémices étaient réservées à la divinité locale.
Dans la nature, les lionnes tuent leurs proies, mais le premier à manger est le mâle dominant; une fois le mâle satisfait, les femelles et les jeunes approchent. Les hommes devaient en déduire une règle: le chef mange en premier, et ils ont dû penser que le monde des esprits était aussi basé sur la même logique, sur le droit du plus fort. Bref, tout ce qui est premier, prémices, primitif, primordial, premier-né, n’appartient pas à la sphère humaine, mais c’est pour se faire bien voir du chef, c’est pour faire plaisir aux dieux.
Dans le monde germano-barbare, ce droit connaîtra une extension particulière: le soi-disant ius primae noctis, le droit de la première nuit, qui aurait été un privilège du seigneur lui donnant la faculté de passer la première nuit de noces avec la jeune mariée. En réalité, nous sommes à une époque où la main-d’œuvre des familles était liée à un territoire particulier, gouvernée par un seigneur qui, dans le cas d’une fille qui allait se marier en dehors de sa seigneurie, exigeait une taxe: le ius primae noctis. Cette expression signifiait l’obligation de l’époux d’indemniser financièrement le seigneur de la mariée. Plus tard, alors que les Lumières voulurent mépriser le Moyen Âge, il a été facile de détourner l’expression juridique du ius primae noctis dans un sens coquin, comme si c’était un droit du seigneur lors de la première nuit de noces de ses sujets! Cette absurdité est évidente: un tel privilège, anthropologiquement injustifié, n’a jamais existé, il aurait été en tout cas sans avantage, c’est un canular des temps modernes, beaucoup l’ont cru et le croient encore. C’est une fake new. Revenant à notre thème du sacrifice des premiers-nés, cette obligation aux prémices est horrible: quel genre de dieu est-il, celui qui demande à un père la vie d’un premier-né?
Jusqu’à il y a 500 ans, en Amérique du Sud, des cultures et des civilisations entières se succédaient, pratiquant des rituels sanguins complexes. Les prêtres étaient très habiles pour déchirer les poitrines des victimes et extraire leur cœur encore vivant et palpitant pour l’offrir aux divinités. Les victimes des sacrifices de sang étaient des prisonniers de guerre, des conspirateurs, des notables tombés en disgrâce, des ouvriers qui venaient de terminer la construction d’un temple ou d’une ville … Les Mayas pensaient que les conditions météorologiques, l’abondance des récoltes et la fertilité des animaux dépendaient de l’humeur des montagnes qui dispensaient les pluies. En cas de sécheresse, les rites propitiatoires étaient consommés sur des pics très élevés. Les prêtres faisaient des pèlerinages et des processions qui duraient même des mois. Ils choisissaient des enfants comme ambassadeurs du peuple et comme cadeaux pour les dieux. Les jeunes, jugés plus purs et plus adaptés au but, étaient emmenés de force ou cédés par les familles elles-mêmes, qui considéraient cela comme un privilège: les dieux les auraient accueillis comme représentants du peuple.
En 1995, une expédition scientifique a creusé le site archéologique le plus élevé du monde au sommet du Cerro Llullaillaco, à 6749 mètres d’altitude. Les chercheurs ont travaillé jusqu’à 37 degrés sous zéro dans cet été andin. Ils ont trouvé la momie gelée d’une fillette de huit ans, que l’on a pensé nommer la vierge des glaces, sacrifiée au cours d’un ancien rituel inca.
D’autres momies ont été trouvés dans les montagnes environnantes. Les momies des enfants, même tués avec violence, ont les yeux encore pleins de confiance, l’expression sereine du doux adieu. Ils sont morts avec la certitude de l’immortalité. Ils n’ont pas dû avoir à souffrir, car l’air raréfié et la feuille de chicha mise sous le nez étourdissent le cerveau pour aller dans l’au-delà en paix, enterrés vivants, ou étranglés, ou tués d’un coup sur la tête, comme la vierge de glace. Grâce à l’analyse ADN, il est également possible d’identifier les parentèles actuelles de ces enfants (1).
Cela se produit dans un monde et dans des cultures qui n’ont connu ni Abraham ni le non-sacrifice d’Abraham, c’est-à-dire l’ordre de ne pas sacrifier d’enfants. Bien sûr, Dieu le met à l’épreuve, au début il se comporte comme une divinité andine ou orientale, il lui demande le sacrifice du fils unique que Lui-même avait promis et accordé après une longue attente, mais quand Abraham obéit et prend le couteau, Dieu l’arrête, il déclare qu’il ne veut pas de sacrifices humains, au contraire: il fournira lui-même le sacrifice, lui faisant trouver un bélier aux cornes enchevêtrées dans un buisson, donc aussi facile à attraper! Le Dieu de l’Alliance ne veut pas de sang, mais la Foi!
Dans cet épisode, nous pourrions lire un passage capital pour l’histoire de l’humanité: le sacrifice humain est aboli et remplacé par un holocauste animal. L’histoire du non-sacrifice d’Isaac pourrait être liée à la fondation d’un sanctuaire (sur la Mòria, non identifiable) dans lequel le rachat des sacrifices d’enfants avec des sacrifices d’animaux est légitimée, contrairement aux sanctuaires environnants. Le Dieu d’Abraham nous a donc libérés de l’horreur des sacrifices humains.
C’est la première fois que cela arrive: le Dieu Très-Haut, se révélant à Abraham et concluant une alliance personnelle avec lui, ne veut pas de sacrifices humains, il n’a pas soif de sang comme les idoles et les divinités environnantes. En fait, c’est Lui qui offre le sacrifice, car il ne reçoit rien de personne, au contraire, c’est Lui qui donne à l’homme les troupeaux, les animaux et les fruits de la terre! Il est le Dieu de la vie, il ne veut pas de sang: il veut la Foi! En fait, l’histoire d’Abraham se déroule entièrement dans une dynamique de Foi.
L’alliance entre Dieu et l’homme connaîtra une autre étape importante: puisque les hommes ne respectaient pas les alliances et que les sacrifices d’animaux ne pouvaient pas combler le sillon du péché, Dieu enverra le Fils par excellence, le seul innocent, l’Agneau qui offre volontairement son sang pour nous sauver. Il n’y a pas de matière plus précieuse que le sang de l’homme-Dieu: son paiement est valable une fois pour toutes. La dynamique sacrificielle qui utilise la matière du sang est également abolie, mais Jésus nous a laissé du pain et du vin au lieu du corps et du sang (comme le bélier au lieu d’Isaac) en mémoire de lui, pour faire comme lui, pour permettre l’offrande de notre vie.
Cependant, nous n’avons pas encore compris cela. Dans les temps modernes, nous avons créé de nouvelles divinités qui remplacent les anciennes. Il y a des dieux de basses collines qui s’opposent au Dieu Très-Haut d’Abraham. Les pratiques idolâtres sont à la mode et se portent bien. Ces nouvelles divinités se manifestent dans le sexe irresponsable, dans la famille déformée, dans les enfants créés orphelins dès le départ, dans les mythes du divertissement, du profit facile, du sport, du jeu, de la toxicomanie et de l’alcool …
Les prêtres qui officient dans cette usine globalisée de l’amusement, même s’ils ont perdu l’art d’extirper le cœur de la poitrine, sont bien capables de brûler la cervelle des jeunes et de les exposer aux nouvelles divinités qui, aujourd’hui comme alors, viennent ponctuellement retirer leur hommage de sang. Après tout, quelle différence y a-t-il entre un meurtre rituel dans les montagnes andines et une mort absurde sur nos routes du samedi soir? L’histoire d’Abraham contient des significations abyssales, et nous n’avons encore rien dit.
(1) Cf. “National Geographic” Italia, vol. 4 n. 5, novembre 1999, pp. 30-48
Année B - I de Carȇme (Mc 1, 12.15)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient”
Les évangélistes racontent les tentations de Jésus d’une manière différente. Matthieu décrit avec une certaine ampleur les tentations les plus éprouvées de Satan envers les hommes: celle du Pain, celle du Temple et celle du Royaume. En fait, les plus grandes tentations pour l’homme de tous les temps sont représentées par le Pouvoir, la Religion et la Sensualité. Luc rapporte que Satan partira vaincu, ayant épuisé toutes sortes de tentations, sans préciser lesquelles. Marc, avec son style sec et concis, dit que Jésus a été tenté par Satan.
Quelques jours avant de partir dans le désert, Jésus avait été reconnu dans le Jourdain comme le Messie venu apporter la bonne nouvelle aux pauvres, pour guérir les cœurs brisés et prêcher le Royaume. En obéissant à une impulsion de l’Esprit, Jésus n’agit pas immédiatement, mais se retire dans une solitude et un silence profonds, jeûnant, priant, méditant et combattant. Nous aussi, dans les grands tournants de la vie, nous ne devrions jamais nous précipiter, mais les faire précéder d’une période adéquate de prière, de réflexion et de désert.
Dans l’histoire, il y a eu une multitude d’hommes et de femmes qui ont imité cette attitude de Jésus qui se retire dans la prière, et bien plus: beaucoup de moines et de saints ermites n’ont fait que cela, ils ont vécu toute leur vie comme un long Carême en préparation de la Pâque éternelle! Les premiers d’entre eux ont commencé en Égypte et en Palestine, jusqu’à l’avènement de la religion islamique; puis ils se sont diffusés vers l’Ouest, à partir de saint Benoît, qui a regardé l’Europe du haut de Subiaco (près de Rome). À l’exemple de Jésus, personne n’a jamais fait autant de bien dans le monde que ceux qui se sont retirés du monde.
Qui a dit que le désert est un endroit calme? Il y a des gens qui, parce qu’ils sont nostalgiques d’événements jamais vécus, voudraient se retirer dans un lieu agréable, au calme, loin des hommes, dans un couvent sur les montagnes, pour chanter les louanges du Seigneur! Trop facile d’admirer la charrue au repos, dans une prairie fleurie au mois d’avril! Selon le récit des évangélistes, le désert est un endroit plutôt bondé. Il n’y a pas de temps pour être en paix. Tout d’abord, nous avons la compagnie des bêtes sauvages, qui dans l’allégorie des Pères sont les passions, minutieusement domestiquées par l’homme spirituel. Ensuite, il y a Satan, avec tout son cortège de mauvais esprits. Le service des anges représente le repos mérité du guerrier à la fin de son effort, après avoir surmonté la tentation.
L’homme postmoderne vit une sorte d’ivresse de l’esprit, due à un excès de lumières, de bruits, de sons, de paroles. Nous sommes enivrés de bruit. Le mot d’ordre est de s’échapper, de se distraire, de sortir, de bouger, de voyager, de s’amuser, ce qui se traduit alors par une pitoyable sortie de soi, de sa réalité, de ses responsabilités. En nous éloignant de nous-mêmes, nous sommes devenus des étrangers à nous-mêmes ou, pour mieux dire, des aliénés, des gens qui ne sont jamais à l’aise, ni chez eux, ni ailleurs. Nous envoyons des sondes à la périphérie du système solaire, et nous ne savons rien de ce qui se passe dans notre cœur.
La littérature, le spectacle et le marché du divertissement ne connaissent pas de crise. En anglais, l’évasion s’appelle fiction: c’est une fiction, mais beaucoup finissent par la confondre avec la réalité. Même les émissions de télé-réalité ne sont pas du tout réelles, mais elles s’inscrivent dans la même logique: elles sont simulées, fausses, artificielles.
Nous laissons donc entrer des images malsaines chez nous, avec tout un tas de séduction, de malice et de violence, qui nourrissent nos pires instincts et attisent la fureur des bêtes sauvages qui sont en nous. Dévoreurs d’images, nous réduisons notre âme à un dépotoir saccagé par toutes les espèces d’insectes et d’animaux impurs, comme la Géhenne, la décharge publique de Jérusalem.
La cinématographie hollywoodienne, fortement imprégnée de l’Ancien Testament, représente des extraterrestres, des créatures d’autres mondes, avec des traits manifestement diaboliques. Les exemples sont nombreux: Stargate, Matrix, Alien, Event Horizon ... en réalité l’alien ne vient pas des espaces lointains du ciel, l’alien est en moi, c’est moi, je le construis moi-même avec mes pensées, mes fréquentations.
Si Marc écrivait son Évangile aujourd’hui, probablement au lieu du mot traditionnel Satan (l’Adversaire), il aurait utilisé celui d’Alien (l’Aliénateur). Satan, ennemi extérieur, est relativement facile à gérer, mais lorsque l’ennemi est intérieur et aliénant, cela devient beaucoup plus difficile!
Le mot Alien (du latin alius, autre) peut aussi être compris comme l’ Autre, celui qui est Autre par rapport à Dieu. Satan est l’ Alien par excellence, celui qui s’oppose à tout projet ou parole de bénédiction que Dieu prononce. Cela arrive aussi en politique: l’administration pose une pierre sur un coin bien indiqué, mais il y a toujours quelqu’un qui dit: ça ne va pas, elle doit être posée un peu plus loin. Voici l’ Alien, celui qui ne peut pas se tenir à sa place, et qui veut aussi déplacer la pensée des autres.
L’ Alien, ou Satan, est en chacun de nous, dans nos pensées, et nous devons le combattre comme Jésus l’a fait, avec une belle quarantaine de l’esprit, un bon jeûne loin du bruit, de l’agitation des programmes inutiles telles que les télé-réalités. Il s’agit de créer une barrière, un filtre, une passoire pour dire à certaines de nos pensées et suggestions: vous, vous entrez … vous autres vous restez dehors … Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons entrer en contact avec les sources de notre être!
Saint François dit que nous avons toujours un ermitage en nous, que nous emmenons partout où nous allons, une sorte d’ ermitage portable, un dispositif - aurait-il dit aujourd’hui - dans lequel nous pouvons nous enfermer sans se faire remarquer, même lorsque nous voyageons dans un endroit bondé. Cet ermitage est notre corps, et tout le secret consiste à savoir entrer en nous-mêmes, comme le suggère un beau texte qui mérite d’être traduit en entier:
“Avancer avec ma solitude parmi les gens / Au quotidien, dans les rues éblouissantes d’images / Essayant d’acheter un rêve qui ne s’efface jamais / Désir sans limites de vie et de bonheur … Et le soir, rentrer chez moi et fermer ma porte / Laisser dehors la lumière et les ombres d’un jour révolu / Et le monde tel qu’une ombre qui s’estompe là, derrière la télé / Ces bruits ne peuvent pas étouffer ce cri qui est en moi … Qu’est-ce qui peut rassasier mon cœur, et la soif sans fin? / Qui peut étancher le cœur, la soif sans fin? / Soif d’immensité / Et je vis, je sais, pour l’atteindre!” (1)
(1) Cf. Gen Verde, “Sete d’immensità”, in: Accordi, Città Nuova, Roma, 1993
Année B - VI Ordinaire (Mc 1, 40-45)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Un lépreux vient auprès de lui; il le supplie et, tombant à ses genoux, lui dit: ‘Si tu le veux, tu peux me purifier’. Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit: ‘Je le veux, sois purifié’ ”
La lèpre est une terrible maladie qui consume et déforme le corps. Elle était considérée comme le plus grand malheur qui pouvait arriver. Ceux qui était touchés, était renvoyés de la communauté humaine comme des hommes maudits. On craignait que le simple contact avec un lépreux ne propage la maladie. Dans le livre du Lévitique, il est dit que la personne soupçonnée de lèpre devait être amenée chez le prêtre qui, en tant qu’officier de santé publique, ayant constaté le mal, l’aurait déclaré impur; à partir de ce moment, l’homme devait porter des vêtements déchirés, avoir la tête découverte, et se signaler à distance en criant: impur, impur! Ces pauvres misérables étaient contraints de vivre dans des enclos spéciaux, dans des cimetières, dans des bois, dans des grottes, à la périphérie des lieux habités. On croyait à tort que la lèpre, comme tout autre type de maladie, était une punition divine à cause d’un péché qui avait été commis. Malades, exclus et maudits: on ne pouvait imaginer une pire situation. A cette époque, la seule préoccupation de la société était de se protéger. La seule réponse possible était le confinement de ces malheureux.
Jésus n’a pas peur de contracter l’infection. Au contraire, saisi de compassion, il tend la main et il touche le malade. Aujourd’hui, le mot compassion ne plaît plus, il est démodé, politiquement incorrect, irritant, comme s’il exprimait des sentiments de supériorité et de condescendance. Mais com-patir signifie simplement souffrir ensemble, être proche. Si on n’aime pas le mot, on pourrait le remplacer par: saisi par la solidarité, mais nous sommes-là dans la même logique que des balayeurs de rue qui deviennent des opérateurs écologiques, les poissonniers transformés en employés dans le secteur ichthyique, les concierges embauchés en tant que personnel parascolaire. Et les sacristains, comment les nommerions-nous, des para-prêtres?
Le mot d’origine hébraïque sous-jacent à compassion indique le frisson des entrailles. Jésus sent un bouleversement intime, viscéral, il étend sa main et il touche le lépreux, en signe de proximité, d’affection, de confort, d’aide, de protection. Jean-Paul II a écrit que “La personne humaine ne peut pleinement se reconnaître que par le don désintéressé d’elle-même” (SD, 28). Tout comme Jésus qui tend la main: un simple geste qui exprime le don de toute la personne.
Mais les hommes ont aussi la mauvaise habitude de se faire des dons apparents et faux, comme le cheval que les Grecs ont laissé aux Troyens, faisant semblant d’abandonner le champ pour mieux conquérir la ville. Il y a une partie du monde laïque qui avance un concept tout aussi laïque et improbable de piété. Au lieu de tendre la main, on souhaite contourner la souffrance, aidant les gens à mourir de leur propre choix. Des propositions ont été faites et des batailles ont été menées comme des véritables chevaux de Troie pour introduire l’aberration de l’euthanasie.
En réalité, le cadeau amer caché dans la pilule de la mort douce est le suivant: “Périssent les faibles et les ratés! Tel est le principe de notre amour pour les hommes. Et il faut même les y aider!” (Nietzsche, l’Antichrist, 2). Écart sans excuse de la part d’un philosophe exubérant, ou provocation salutaire à contextualiser ? Cette phrase signifie vraiment ce qu’elle dit, ou bien une certaine culture laïque voudrait la prendre à la lettre comme les Témoins de Jéhovah le font, par rapport aux textes sacrés? Mettre les faibles et les boiteux hors-jeu, serait-ce un acte de piété? Peut-être bien que cela ne correspond pas à la vraie pensée de Nietzsche, peut-être bien que le philosophe a voulu exprimer un paradoxe ou une parodie … mais c’est exactement ce qu’aujourd’hui on va risquer de faire!
Ainsi, face à la mort, chacun est laissé libre de choisir comme bon lui semble, selon un principe de liberté. Puisque Dieu n’existe pas, les souffrances sont inutiles et les douleurs insupportables, laissons le patient décider lui-même. Nous l’inviterons peut-être, et nous pourrons même l’aider à mettre fin à sa vie le plus rapidement possible, sans oublier un paisible arrangement des questions héréditaires. Le monde laïque qui n’accepte pas les principes abstraits et absolus de la métaphysique et de la religion, finit lui-même par se noyer dans un principe de liberté qui n’existe ni au ciel, ni sur terre, ni nulle part.
On pense qu’il suffit de se définir laïque pour être du bon côté, comme il y a ceux qui pensent avoir raison uniquement parce qu’ils sont catholiques, représentants d’une noble tradition de pensée en voie de disparition. Même fondamentalisme, même irrationalité. Une laïcité sans le contrepoids d’une religion devient elle-même une religion avec sa foi, ses croyances et ses dogmes. Ce qu’on avance-là ne correspond pas à un principe de liberté, mais un fétiche sordide de liberté.
Un auteur qui n’a pas la langue dans sa poche, avec les mots de la désillusion, exprime dans une chanson la perversion de la relation générationnelle, le beau cadeau que les enfants ont préparé à leurs pères:
“Si j’étais né en Afrique, sans la civilisation, j’aurais autour de moi des jeunes qui honorent l’âge / Quand tous les hommes seront vieux et fatigués / ils auront le cadeau préparé par leurs enfants / qui ont appris l’Euthanasie de groupe” (1)
Hier, on éloignait les lépreux pour protéger la société. Aujourd’hui, pour des raisons similaires, l’ancien souci païen refait surface, et on éloigne les malades en les reléguant dans des environnements aseptiques, dans des endroits sans bulles de chaleur humaine, comme s’ils étaient morts avant l’heure, avec l’excuse que dans un contexte institutionnel ils seront mieux suivis. Mais quand une main est tendue sur elle, une personne malade est moins susceptible de demander de mourir.
“Je ne sais pas comment il se fait que lorsqu’un membre souffre, sa douleur devient plus légère si les autres membres souffrent avec lui” (Saint Augustin, Ep. 99, 2)
(1) Marcello Marocchi, “Eutanasia”, in LP “Fermatevi”, Edizioni Paoline, Roma 19...
Année B - V Ordinaire (Mc 1, 29-39)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Aussitôt sortis de la synagogue, ils allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait”
Jésus guérit instantanément la belle-mère de Pierre, une personne discrète et serviable. Normalement, la belle-mère se voit attribuer le rôle de la mégère, intrusive, pétulante et autoritaire. On aime bien plaisanter sur la belle-mère qui, semblerait-il, ne pourra jamais pardonner complètement à cette … inconnue qui a eu le courage de venir s’approprier l’amour d’un fils pour sa maman!
Lorsque la fièvre arrive, il y a un sentiment de faiblesse, on commence à trembler de froid, on va se coucher, on ressent une grande chaleur jusqu’à avoir des hallucinations. Tout cela à cause d'un microbe qui pénètre dans notre organisme, propage l’infection, et se multiplie excessivement. Il s’organise comme un animal interne et, comme le disaient les bergers d’autrefois en parlant du vent boréal: il naît, il broute et il se meurt. Puis la fièvre disparaît soudainement, comme elle est venue: elle a suivi son cours. Les tentatives pour l’éliminer n’ont fait qu’affaiblir le corps. Les nombreux médicaments qu’on a pris pour forcer l’animal interne à partir avant qu’il fasse son oeuvre, en réalité l’ont dérangé, donc nous vivons des rechutes pires que les maux que nous avions. Donc, quand la fièvre arrive, mieux vaut attendre qu’elle s’en aille toute seule, l’accompagnant de palliatifs simples et naturels, en dépit de la publicité et du marché des médicaments qui - ils ont même le culot de le reconnaître - provoquent des effets secondaires, même graves.
En réalité, la fièvre n’est pas une maladie, mais la réponse du corps à l’agression de la maladie. Si, en cas de fièvre, je prends un médicament pour l’abaisser, c’est comme vouloir moucheter les armes de l’infanterie qui se lance contre l’armée des orques.
La même chose se produit dans la psyché. Un microbe, c’est-à-dire une pensée, une idée fixe, suffit à provoquer une dépression, une détresse de l’esprit, jusqu’à perdre la tête! Par exemple, prenons le cas d’un employé se rendant au travail tous les matins. Quelqu’un s’approche de lui et lui insinue l’idée louche, sans fondement, que tôt ou tard il sera renvoyé. L’employé enregistre cette suggestion et commence à s’en convaincre. Au bureau, tout le monde le salue comme toujours, mais il pense: c’est le signe qu’ils savent déjà quelque chose. Le portier le salue avec la gentillesse habituelle, mais il l’interprète dans un mauvais sens: c’est par compassion. Le pauvre homme commence à se méfier, il se fâche pour un tout petit détail, un simple malentendu suffit à le mettre en colère, la température monte … L’employé perd le goût du travail, le rendement baisse, le licenciement est inévitable. On lui avait bien dit que quelqu’un lui en voulait!
Othello est amoureux de Desdemona, qu’il épouse en secret. Le perfide serviteur Iago tente de le convaincre de la trahison de sa femme. Othello, tout en étant sûr de l’honnêteté de son épouse, est épuisé par des pensées angoissantes, obscurcies par le monstre vert de la jalousie. Le travail de persuasion réussit sa tâche, et Othello finit par tuer Desdemona dans le lit nuptial. Ce n’est que plus tard qu’il réalisera avoir fait une tragique erreur. Dans le drame représenté, il y a bien plus qu’une banale jalousie. Il y a des embouteillages émotionnels, des retournements de situation, des discours à moitié faits, comme cela se produit dans la vie réelle. La dernière scène se termine par un sentiment de malaise dans le public, une agitation difficile à déchiffrer.
En règle générale, le drame théâtral présente un changement pour le mieux, mais dans l’Othello, les faits glissent vers le pire, sans rétablir l’équilibre, sans la possibilité d’un retour. Le destin ne punit pas le coupable, mais celui qui a été trompé. Alors, pourquoi cet opéra a-t-il autant de succès?
La réponse est là: le héros se perd dans un malentendu facilement reconnaissable par la société des spectateurs. Dans les intrigues d’Iago, le public est susceptible d’y voir un reflet d’événements réels et de personnes existantes. Les différents personnages représentent des pulsions et des sentiments que la haute société connaît bien, mais qu’elle voudrait désavouer et oublier.
Même dans un village, comme dans tout ensemble familial et communautaire, des faits inavouables se produisent, des choses que tout le monde sait, mais que l’on préfère taire. Les gens se limitent à espionner les fantômes sans jamais se donner la possibilité de les exorciser, et le mal caché sous le tapis se prépare à exploser plus tard, avec des résultats bien plus tragiques. Probablement, la raison qui emmène beaucoup de gens au théâtre et au reality show, est la suivante: espionner les fautes des autres leur permet d’avoir une confirmation (discutable) de leurs propres vertus.
Voici ce qu’une idée fixe est capable de faire! Attention, ils vont te virer! … Surveille ta femme! … Fais attention à ta fille! En réalité, il ne faut jamais accorder de la confiance aux gens qui disent des choses à moitié, prétendant connaître une vérité qui ne peut pas être déclarée, parlant par des allusions, derrière des sourires de lumière froide. Ces gens sont comme les tiques: quand elles attaquent, elles sont capables de provoquer une fièvre mortelle!
L’ idée fixe d’Othello correspond à la propre volonté de la littérature ascétique. Les moines ont été les premiers à observer que des pensées belles et laides, bonnes et mauvaises, sages et stupides se forment quotidiennement dans nos esprits. Ainsi quand on se laisse envahir par la pensée négative, et que l’on se prête à son jeu, cela lui permet de se développer, et de gagner en force. Plus on la caresse et on l’approuve, plus elle devient dangereuse. La propre volonté se concrétise dans l’auto-conviction qu’une mauvaise pensée est bonne. En fait, la personne, avant de faire quelque chose de déplorable, passe beaucoup de temps à chercher un compromis avec ses propres pensées, essayant de les justifier. Ces pensées sont comme des microbes qui, non bloqués à temps, produisent une sorte de fièvre capable d’entraîner un effondrement final! C’est le désastre de la vie spirituelle!
La vie intérieure consiste dans l’art du discernement: savoir distinguer et garder les bonnes pensées, et rejeter celles qui sont inutiles et nuisibles. Il s’agit de renforcer le libre arbitre, sans le nier, afin de le réserver aux bonnes initiatives. Une personne qui fait ce travail sur elle-même acquiert un cœur sain, paisible et pacifié, prêt à tout bien. Elle s’entendra même avec sa belle-mère qui, malgré ce qui se dit, a aussi ses grands mérites, comme la belle-mère de Pierre, si douce et serviable!
Amen
Année B - IV Ordinaire (Mc 1, 21-28)
Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes
par Andrea De Vico, prêtre
correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;
Anne Mayoraz, éducatrice
“Le jour du sabbat, Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier …”
Qu’est-ce que l’ esprit impur? Qu’est-ce que cela signifie qu’un homme était possédé par un esprit impur? Nous sommes avec Jésus dans une synagogue, un lieu que les Juifs dédiaient (et consacrent encore aujourd’hui) à la lecture et au commentaire de la Parole de Dieu. Les scribes, interprètes officiels des textes sacrés, dédiés à leur garde, exerçaient sur eux une sorte de pouvoir d’infaillibilité. Jésus rompt ce schéma et montre une autorité bien plus importante que celle des scribes, par laquelle l’esprit impur sort au grand jour et réagit avec des mots durs: “Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre?”
Observons cet homme: c’est un scribe, quelqu’un qui fréquente la synagogue, un admirateur sincère de la Parole de Dieu, un dévot habituel. Il n’est ni possédé par un démon au sens habituel du terme, ni une personne qui a un mauvais esprit dans son corps, comme on le dit dans un langage courant. C’est un esprit impur, quelqu’un qui s’oppose à la sainteté de Dieu, et il le dit expressément: “Je sais qui tu es: tu es le Saint de Dieu”.
Pour quelle raison cet esprit est-il appelé impur? Tout d’abord, nous devons détacher le concept de pureté de la sphère sexuelle. Les confesseurs et les pères spirituels nous ont habitués à la fausse idée que la pureté réside dans le sexe, donc les anges sont purs, les enfants sont purs, les célibataires et les religieux abstinents sont purs, pour ensuite étendre un voile pitoyable sur tout le reste. En réalité, comme Jésus le dit aux disciples: “Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite” (Jn 15, 3). La pureté réside donc dans l’oreille, dans l’écoute obéissante de la Parole, et dans les paroles qui fleurissent par conséquent sur les lèvres. L’organe de la pureté n’est donc pas dans le sexe, mais dans l’ouïe. S’il y a cela, tout le reste vient de lui-même, et même la sphère sexuelle devient, pour ainsi dire, plus gérable.
Dans le cas d’aujourd’hui, la spécialité de cet esprit impur, hostile à la prédication du Royaume, est le sens du pouvoir, qui est inversement proportionnel à la sainteté divine. En fait, les scribes ont exercé un pouvoir d’interprétation sur la Parole de Dieu, qui est évidemment remis en question par l’autorité de Jésus. Ce scribe, entre autres choses, est bien éduqué, a les titres pour ouvrir les livres sacrés, est qualifié pour l’enseignement de la théologie, mais devant Jésus, il sent le danger, il a peur de perdre des points, et pour défendre les droits de la catégorie, il réagit comme un forcené.
Nous sommes dans une synagogue, un lieu saint dédié à la garde, à la lecture et au commentaire de la Parole de Dieu, un peu comme nous le faisons tous les dimanches dans la première partie de la messe. Nous nous attendons à ce que des endroits comme celui-ci restent libres de l’influence des mauvais esprits. Nous sommes à l’église, nous prions, donc il ne devrait pas y avoir de place pour le monde des esprits, mais on voit que les mauvais esprits viennent aussi à la messe, et ils viennent avec plaisir. En fait, dans la vie communautaire, quand on se rassemble pour prier, décider, planifier ou réaliser des initiatives, il y a toujours une étrange opposition qui se cache derrière un murmure de mots, un train de commentaires dans lequel on dit des choses pour en cacher d’autres, essayant de gagner les autres d’une manière subtile, pour les amener à une idée particulière. L’esprit impur est là: tout ce qui s’oppose à l’entrée du Royaume, tout ce qui entrave le Royaume de Dieu.
Il y a des associations ecclésiales nées pour aider l’Église et sa mission, mais parfois on a le sentiment que même les prêtres doivent se prémunir et se protéger du zèle excessif que certaines personnes expriment sous l’impulsion importune d’un esprit impur.
Bien sûr, la plupart des gens travaillent tranquillement et discrètement, mais nous devons toujours faire attention à ce que l’esprit impur ne se manifeste pas, pour défendent des rôles et des positions consolidés. Avec des discours étudiés, il a toujours quelque chose à dire, à ajouter, et il veut en tout cas avoir l’atout du dernier mot. Pas étonnant donc, si de temps en temps une personne habituellement dévote, inscrite auprès des associations ecclésiales, formellement obséquieuse et attachée aux traditions de la communauté, manifeste cette étrange résistance, cette mauvaise disposition intérieure. Les soi-disant démoniaques sont des gens parfaitement normaux, au point qu’ils fréquentent la synagogue, le syndicat, le groupe, l’Eglise.
La parole de Jésus a le pouvoir de mettre à nu les pensées. Il dit des choses qui ouvrent des placards secrets des cœurs, là où ces mauvais esprits se cachent. Une seule de ses paroles - pure parce qu’obéissante - suffit pour démasquer le mauvais esprit: “Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Es-tu venu pour nous perdre?” Mis à la lumière du jour, l’esprit réagit par une explosion de colère et démissionne. La personne est finalement libre de se convertir à la sainteté de Dieu.
Mais rien ne garantit cette dernière étape: le pouvoir de conversion est inhérent à la personne elle-même, et Jésus n’est pas en mesure de faire ce miracle. Il n’y a que la personne qui puisse faire le merveilleux auto-miracle de la conversion!
Amen
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